Des
bribes de poésie, des notes accumulées au fil des ans. Pour nombre
d’auteurs, éditer des carnets reviendrait à offrir des miettes sans
consistance. Pas avec Alexandre Voisard, dont l’engagement pour son
canton du Jura a trop souvent fait oublier qu’il est l’un des poètes
les plus importants de cette fin de siècle. Dans toute la francophonie
s’entend.
Au rendez-vous des alluvions réunit des
notes souvent prises sur le vif entre 1983 et 1998. Où l’on se rend
compte que la poésie est partout, dans les murmures de la nature comme
dans un troquet de Strasbourg. Où la forme le plus souvent brève
concentre toute la puissance du verbe. On pense bien sûr aux
haïkus, ces merveilles de la poésie japonaise. Le poète, fidèle à ce
qui a fait son œuvre, nous invite dans ses balades, ses rencontres avec
l’épervier, les biches, l’hermine. Mais aussi dans ses émouvants
souvenirs de visites à René Char, le poète admiré qui rompra toute
relation pour d’obscures raisons. En prose ou en vers, le regard se
fait souvent ironique, les mots espiègles.
Ce qui est passionnant dans ces carnets, c’est de voir le poète au
quotidien, toujours à l’affût de ce qui peut nourrir l’œuvre: «Je
traque les signes
qui parfois s’organisent en signaux. Saisir les signes de poésie, être
attentif à ce qui clignote et reste cependant invisible.» Un travail de
la patience et d’attention au réel, parce que «la “bonne poésie”
pourrait être celle qui impérativement ramène au réel. Sinon quoi?»
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
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