La
trame, somme toute, est classique. Un homme seul parcourt la ville,
laissant ses pas l’entraîner en des lieux familiers: à mesure qu’il
arpente telle avenue, qu’il revoit telle devanture de bistrot ou telle
entrée d’immeuble, reviennent à lui les souvenirs de moments vécus à
l’endroit même, de rencontres futiles ou marquantes, de fragments plus
ou moins oubliés d’une existence confuse.
C’est dans une institution des hauts de Lausanne que débute Un jour en ville. Hors
de la vue du narrateur, les aides-soignants ont levé Robin et l’ont
installé dans son fauteuil électrique, «un transfert délicat qu’il
préfère épargner à ses proches»: l’homme à qui le narrateur rend visite
ce jour-là est gravement malade. Partant de cette chambre, le périple
en ville de ce dernier durera une journée: il servira de prétexte à
l’évocation du destin croisé des deux hommes.
À travers Lausanne, le narrateur voit le rythme lent de sa marche
s’accorder au tempo des années qui ne sont plus: la chronologie de son
amitié avec Robin s’étire des jours fougueux de la jeunesse jusqu’à une
déchéance précoce, vécue dans l’impuissance par les deux hommes, chacun
à sa manière. Au-delà des aléas et des transformations, alors que tout
change et que tout passe, la ville parait comme un repère,
réconfortante de sa relative immuabilité.
La fuite du temps et l’angoisse qu’elle génère sont au cœur du projet
littéraire porté par Tschumy, comme dans cette scène poignante où le
narrateur recherche, dans l’une de ses dernières demeures, les vestiges de
son ami, ces deux poignées brillantes enfichées dans un mur et qu’il
utilisait pour se hisser depuis sa chaise roulante; ultimes traces
concrètes d’une existence condamnée. Assistant à l’avancée
inéluctable du mal qui emportera Robin, le héros prend conscience qu’il
est lui-même en sursis: à cinquante ans, la vieillesse n’est déjà plus
cette hypothèse si lointaine et forcément inacceptable, elle se confond
avec l’horizon. C’est certainement dans cette rencontre avec une mort
toujours insinuée, dans cette posture de l’homme sommé par les
événements de tirer un bilan de sa vie, que le récit gagne en
profondeur métaphysique: qu’est-ce qui fait un Homme, interroge
l’auteur?
Certes, Tschumy cède parfois à quelques facilités: fallait-il ainsi que
Robin fût jadis un sportif confirmé? Était-il indispensable, afin de
rendre le récit plus pathétique encore, de créer cet effet de contraste
entre le corps athlétique d’hier et l’enveloppe malade d’aujourd’hui?
Dans le même ordre d’idée, on pourrait regretter chez l’écrivain
lausannois un certain penchant pour la surenchère, tant le récit est
chargé en drames se télescopant les uns les autres jusqu’au vertige,
notamment en seconde partie; or par effet de saturation, l’accumulation
de ces situations douloureuses tend, à l’inverse de l’intention, à
affaiblir la dimension tragique du roman. Peut-être conscient de ce
travers, et comme pour en compenser les effets, Tschumy fait preuve
d’une remarquable rigueur formelle au long de ses pages, s’interdisant
tout épanchement syntaxique et toute pesanteur de la plume: le style
est agréable et sobre, jusqu’à passer parfois, à tort sans doute, pour
un brin paresseux.
«J’émerge du vallon et pénètre à nouveau dans le royaume, ses grottes,
ses cavernes, ses sapins alourdis. Je reprends une cadence plus vive le
long d’étroits passages transpercés par des flèches de lumière, et des
traces précèdent les miennes soudain. Ce ne sont pas celles des
habituels promeneurs de chiens rappelant à l’ordre leurs protégés. Ce
sont les traces de Nadia menant son existence de main de maître
jusqu’au 30 novembre 2008. Ce sont les traces de Robin au
ravitaillement de l’hôtel Weisshorn, le dimanche 11 août 1991,
direction Zinal où l’accueillera un record qu’il n’égalera plus.»
Premier roman à la tonalité résolument nostalgique, Un jour en ville touche
juste dans sa manière d’évoquer la vie comme une succession de
trajectoires peu contrôlables. Tschumy déconstruit avec talent cette
véritable mécanique de l’absurde, suite d’événements vécus sans réelle
emprise sur eux, sans même la volonté de leur donner un sens. Dans ce
drame, le rôle joué par le décor est important: ici la ville n’est pas
un simple paysage, elle agit comme génératrice d’émotions, interrogeant
l’histoire personnelle des protagonistes et permettant de révéler
l’intimité du narrateur. Est-ce toutefois l’effet de l’écriture en
«je»? On regrettera une structure narrative sans surprises, et ce
sentiment ressenti parfois de tenir entre les mains un
«livre-thérapie», roman introspectif dont on ne sait pas bien s’il a
été écrit d’abord pour la gloire de la littérature, ou pour le salut de
l’auteur lui-même.
La Cinquième Saison, No 3, 2018
Amitié sacrée sur toile de fond lausannoise
Le premier roman de Daniel Tschumy Un jour en ville,
paru en mars 2017 chez Bernard Campiche Éditeur relate de manière
touchante la balade du narrateur sur les sentiers de ses propres
souvenirs alors qu’il traverse la ville de Lausanne. Une belle ode à
l’amitié, à l’amour et au courage, mais aussi à cette ville faisant
face au Léman que le narrateur chérit tant
Loïc, père de famille d’une cinquantaine d’années, dédie ce texte à son
meilleur ami Robin, qui s’est retrouvé alité par la maladie. Retraçant
leurs années de jeunesse et leur entrée dans l’âge adulte au travers
d’une promenade à la fois mentale et physique, le narrateur raconte
l’évolution de leur amitié et de leurs vies respectives, scellées par
un destin peu clément. Le récit se déroule sur une journée, au cours de
laquelle Loïc, empli de nostalgie, se balade dans les paysages de son
passé, nous emmenant dans ses souvenirs de jeunesse dorée, puis dans
ceux, plus douloureux, de sa vie d’adulte.
Suivant lui-même un parcours à travers la ville lui rappelant son
meilleur ami, le narrateur offre une réflexion sur les relations
humaines – qu’elles soient amoureuses, amicales ou anonymes. Il se
penche aussi sur la notion de destin, regrettant amèrement les coups du
sort injustes assénés aux protagonistes impuissants de son existence.
Avec une sincérité touchante, il relate la difficulté de l’entrée dans
l’âge adulte et fait l’éloge de la force de caractère nécessaire à
surmonter les embûches que la vie place sur notre chemin. Cette force,
son ami Robin en fait preuve durant des années, au même titre que
Nadia, la femme du narrateur, victime elle aussi de graves problèmes de
santé. Loin de se vanter, Loïc admet avoir également dû puiser dans ses
ressources afin de soutenir son entourage, sans se laisser abattre par
toutes ces «petites morts», comme il les appelle.
Tout au long du roman, Loïc fait référence à la course à pied et à son
coureur favori, Sebastian Coe, qui l’a beaucoup inspiré. Commençant ce
sport lui-même durant sa jeunesse avec Robin, il ne cesse de le
pratiquer et en a besoin comme exutoire. Et si la course a été une
passion commune aux deux meilleurs amis, créant des moments privilégiés
entre eux, il se voit aujourd’hui continuer seul. Ce sport devient
alors une métaphore du chemin de la vie, où il avance malgré les
obstacles et la fatigue, comme pour faire honneur à celles et ceux qui
ne sont plus en mesure de courir à ses côtés. La notion de mouvement
est centrale dans la marche, dans la promenade ainsi que dans la course
et symbolise le combat contre la maladie et les aptitudes physiques qui
déclinent.
Le roman est rythmé par les déplacements du narrateur et pourtant,
l’ancrage est très marqué malgré les échos lointains de ses voyages et
tribulations lorsqu’il était jeune. Lausanne demeure un pied-à-terre,
perçue comme un lieu accueillant et rassurant, malgré les les drames
qui y surviennent. Avec son style d’écriture d’une simplicité poignante
conférant au roman une certaine authenticité, Daniel Tschumy dresse un
tableau lausannois d’une grande beauté, qui ne manquera pas d’émouvoir
celles et ceux ayant grandi dans cette ville.
CHLOÉ BRECHBÜHL, L'Agenda, août 2017
Quand le temps trace son destin
Quels temps reviennent et résonnent, intenses et bouleversés, dans les
pas de cet homme à l’entame de la cinquantaine, cet homme qui parle
dans la marche d’Un jour en ville,
le premier roman de Daniel Tschumy. Il avance dans ce jour et vers les
lieux qui le révèlent, lui Loïc, et lui son ami Robin, elles Nadia et
Florence, leurs femmes, la ronde de leurs filles… Ces lieux en repères.
C’est là qu’ils venaient, qu’ils se retrouvaient, s’attardaient dans
l’amitié des soirs. C’est par là qu’ils passaient dans leur course
hebdomadaire. Lui, Robin, le coureur magnifique et tout à coup scalpé
par une sclérose en plaques. Elle, Nadia, happée par «le grelot
assassin d’un caillot au cerveau». Les temps et les destinées se
croisent, s’interrogent dans cet itinéraire de ville et les épreuves
traversées. Avec, transcendant le temps, ces figures admirées par les
deux amis dès le gymnase, de deux athlètes d’alors, Sebastian Coe pour
le narrateur, Steve Ovett pour Robin. Dans la promesse et la musique
des phrases, résonne cette citation de Janine Massard: «Les mots sont
des gouttes bienfaisantes sur la douleur du monde.»
JEAN-DOMINIQUE HUMBERT, Coopération, 2017
sa vie, le temps d’une promenade
Un homme, la cinquantaine,
marche dans Lausanne et remonte le cours d’une existence marquée par
les drames. «Un Jour en ville» est une ode à l’art de se relever
Un jour en ville démarre
en douceur, presque comme si de rien. On ne peut imaginer, en
commençant la lecture, que l’auteur va nous convier à bien plus qu’une
simple promenade dans Lausanne, un dimanche d’automne. Que par la force
des mots, le temps va se dilater, les époques se croiser et que cette
simple et unique après-midi va en fait englober et remonter le cours
d’une vie.
Pas d’effets de manches ou de roulements de tambour chez Daniel Tschumy, dont on avait apprécié le recueil de nouvelles Place du Nord et autres lieux
en 2012. Mais cette façon de transmettre un rythme, proche de celui de
la marche d’ailleurs, un tempo qui permet à la fois d’observer et de
prendre du recul, de lire et de ressentir, et imperceptiblement, de
mettre ses propres pas dans ceux du narrateur. Sous ses airs modestes, Un jour en ville
tisse bien le roman d’une vie, des vies, faites d’accidents et de
recommencements. Au terme de la promenade, commencée à la station
Fourmi du métro M2, on se sent comme après une grande marche ou une
course en forêt: les yeux plus ouverts, le cœur plus grand. Comme après
un bon livre.
Une balade sans horaires
Le roman s’ouvre sur une visite à l’hôpital. Loïc, le narrateur, y a
déjeuné au réfectoire avec Robin, son ami d’adolescence, dont les
cheveux «ont beaucoup blanchi». Affaibli, parlant avec difficulté,
Robin lui est apparu néanmoins serein. Ses filles, grandes, étaient là
aussi, toutes à l’énergie de leurs commencements dans la vie. Loïc, en
accord avec sa femme, ne rentre pas chez lui tout de suite après. Il
est libre pour l’après-midi et se coule «dans la douceur de ce dimanche
qui appelle à une balade sans horaires».
Tandis que défilent les rues, les bâtiments, le lac, tel un miroir au
loin, Daniel Tschumy fait suivre au lecteur les pensées de son
narrateur. À la carte de la ville, se superpose son itinéraire intime
où l’amitié avec Robin tient une grande place. Robin a entraîné Loïc
dans sa passion pour la course à pied. Tel un rituel, ils ont couru
ensemble pendant vingt ans, à raison de deux fois par semaine, au
départ de l’embouchure de la Venoge. Jusqu’au forfait de la maladie de
Robin. Jeunes, ils devaient former un drôle de couple, se dit Loïc avec
le recul: côté Robin, «une sorte de fauve à la force contenue flanqué
d’une girafe un peu gauche», Loïc donc.
Duo de légende
À leurs foulées se superposent celles d’un duo de légende, celui formé
par les coureurs anglais Sebastian Coe et Steve Ovett, dont la rivalité
captivera les deux adolescents tout comme des millions de
téléspectateurs. Défaites et exploits: Loïc et Robin suivent leurs
héros à la télévision lors d’après-midi d’anthologie, pour les Jeux de
Moscou en 1980, de Los Angeles en 1984. Chaque course est un combat,
les deux coureurs donnent tout, endurent tout, jusqu’au bout: «Who says I am finished now?»
hurle, rageur, à la presse, Sebastian Coe, vainqueur du 1500 mètres à
Los Angeles, à rebours de tous les pronostics. «Qui dit que je suis
fini maintenant?», la phrase marque les adolescents. Ils l’utiliseront
maintes fois pour leurs victoires à eux, dans leurs vies d’adultes,
bientôt meurtries par les drames.
Un Jour en ville est un
roman-gigogne où les itinéraires (de promenades, de courses, de vies)
se répondent. Bientôt, on comprend que ce rythme de la marche
correspond aussi au flux des mots qui viennent à Loïc-Daniel Tschumy
devant la page blanche. L’écriture trace des routes, relie les points
d’une existence. Marcher, courir, écrire, soit une façon d’avancer, de
se relever, malgré les défaites, malgré les drames.
LYSBETH KOUTCHOUMOFF, Le Temps, 17 juin 2017
Loïc
s’est octroyé une journée en ville à revisiter son passé. Lausanne,
«ville sucrée et parfumée de mai» Il y couve cependant des drames.
Comme celui de son ami Robin à qui il vient de rendre visite dans son
institution. L’athlète aux pieds d’argile est attaqué par une sclérose
en plaques sournoise «Cela faisait dix ans qu’avec un cran sidérant son
entourage, sa souffrance morale révélée au compte-gouttes, il
affrontait l’érosion de son existence, une succession de renoncements
semblables à autant de petites morts.»
En cette fin de septembre somptueux, chaque halte fait rejaillir les
souvenirs. Son initiation à la course par Robin alors que son
inclination allait plutôt au foot. Leurs années d’études, laborieuses
pour l’ami que le doute rongeait insidieusement avant l’estocade de la
maladie. Avec son mariage et la naissance de ses deux filles, Romain
avait trouvé un sens à la vie avant qu’elle ne reprenne ce qu’elle lui
avait laissé entrevoir comme promesses.
Loïc s’est marié tard. Nadia lui a donné deux filles. La vie est
pleine, belle dans la maison à l’orée de la forêt. Jusqu’au jour où un
AVC pétrifie la jeune femme.… La course, l’écriture, le sourire de ses
filles permettent à Loïc de garder le cap.
«Un jour en ville» avec, en fond d’écran, les courses mythiques de deux
géants, les Anglais Sebastian Coe et Steve Ovett, est le premier roman
de l’enseignant lausannois. Auteur de prose et de poèmes, son ouvrage
est sorti ce printemps aux éditions Bernard Campiche. Chez le même
éditeur, il a publié des nouvelles en 2012 «Place du Nord et autres
lieux».
«Un jour en ville» est un livre poignant. Il y a des fulgurances de
lumière, de bonheur dans ses pages. L’auteur parle d’événements graves,
sans pathos, avec une infinie délicatesse. La langue est fluide, sobre.
Les phrases empreintes de poésie sont comme des pépites laissées sur le
chemin du promeneur.
ÉLIANE JUNOD, L’Omnibus, 5 9 juin 2017
Les auteurs romands font éclore une foison de publications
Le Salon du Livre de Genève a aussi révélé une belle vitalités des auteurs romands
Parmi les nombreuses sorties de cette première partie de l’année 2017,
nous avons retenu, certes un peu arbitrairement, trois titres. Mais
d’autres comptes rendus suivront…
{…} «Un jour en ville»
Le premier roman de l’enseignant Daniel Tschumy augure bien de la suite de son œuvre. Un jour en ville
est un livre grave, parfois bouleversant, et largement
autobiographique. Au cours d’une pérégrination d’une journée à travers
Lausanne – où l’auteur décrit avec précision quartiers, rues, places,
parcs, cafés, mais qui constituent aussi un long flash-back – le
narrateur, Loïc, évoque son ancienne et forte amitié de plusieurs
décennies avec Robin. Une amitié qui a longtemps reposé sur une passion
commune, la course à pied, en s’inspirant des espoirs de leurs idoles,
les Britanniques Steve Owett et son concurrent Sebastien Coe. C’est la
partie jubilatoire du livre, qui est aussi un éloge de ce sport
d’endurance. Mais un double malheur va tout assombrir. Robin est gagné
par étapes par la sclérose en plaques, un drame qui va en entraîner
d’autres: le départ de son épouse, une autonomie de plus en plus
limitée, jusqu’à la chaise roulante et l’hospitalisation dans un
établissement médical spécialisé.
Cette histoire d’une belle fidélité dans l’amitié connaît un nouveau
tournant lorsque la femme du narrateur, encore jeune mère de deux
fillettes, est frappée par un accident vasculaire cérébral qui lui
laisse de très graves séquelles, un drame familial que Daniel Tschumy
avait déjà évoqué dans «Place du Nord et autres lieux». Nous suivons
cette descente aux enfers de Nadia et du couple, suivie d’une longue et
partielle réhabilitation. Finalement, Lo!ic décide: «et l’auteur use là
d’un procédé littéraire qui n’est pas nouveau – d’écrire l’histoire de
son ami …le livre que nous avons sous les yeux.
PIERRE JEANNERET, Gauchebdo, No 18, 5 mai 2017
Ce jour-là, Loïc, le narrateur, la cinquantaine,
fait une balade après qu'il a quitté son ami Robin, placé dans une
institution. Il fait une échappée loin de sa famille et suit un
itinéraire qui n'a rien d'improvisé, à travers Lausanne, «désencombrée».
Pour lui, ce dimanche de septembre est Un jour en ville, «un jour de
pause, [sa] mémoire survolant le passé à sa guise pour ignorer
certaines zones et zoomer au contraire sur d'autres, leurs détails
approchés de tout près.»
Ce sont trente-cinq ans de sa vie qui remontent à la surface de sa
mémoire: des lieux où il a habité, des lieux où a habité son ami Robin,
des lieux qu'ils ont fréquenté ensemble, depuis qu'en 1978, ce dernier
a initié Loïc à la course à pied...
Robin et Loïc étaient alors devenus fans de deux athlètes britanniques
rivaux, qui leur ressemblaient, ou à qui ils cherchaient à ressembler.
Robin était fan de Steve Ovett, «un talent brut comme lui»; Loïc, de
Sebastian Coe, «un artiste, fluide, aérien».
Depuis cette époque, pendant près de vingt ans, les deux amis vont
courir ensemble jusqu'à ce que Robin connaisse des problèmes de couple,
puis de santé, alors que c'était lui le sportif infatigable, qui
incitait Loïc à toujours se dépasser...
Dans sa vie personnelle, Loïc ne va pas non plus être épargné et sa
balade dans certaines zones de la ville lui rappellera les vicissitudes
qu'il a traversées lui aussi. La fin novembre 2008 étant d'ailleurs
douloureuse pour les deux amis...
Peut-être que ce qui sauve Loïc, à cinquante ans passés, c'est de
pouvoir encore courir, même s'il n'accomplit pas d'exploits. À la
course qui aura rythmé son existence pendant des lustres, il ajoutera
un autre rythme, à la fin, celui de l'écriture:
«Le bonheur de ces deux rythmes, l'un prenant le relais de l'autre
lorsque je me trouve à bout de souffle, sur mon sentier ou sur ma page.
Oui, chaque fois que possible, il faut écrire après la course et courir
après l’écriture».
Le troisième rythme, celui de la lecture, procure du bonheur à son ami
Robin... et au lecteur, qui, s'il connaît bien Lausanne, la revisite
volontiers avec Daniel Tschumy: qu'il la connaisse ou non, ce roman
l'incite vivement à la parcourir à son tour...
Blog de FRANCIS RICHARD
Un extrait du livre
Assis face au bassin du parc de Milan et ses étincelles flottantes, je
contemple les gerbes d’eau, dont le son clair se mêle aux cris des
baigneurs. Les autres petites morts de Robin sont là, sur le seuil de
ma mémoire, comme elles ont franchi le cap du nouveau siècle pour en
souiller les premières années. J’en garde certaines images, des bribes
de conversations reprises lorsque, inquiet, je me rendais chez lui, ou
avec lui au Café des Arcades, au Buffet de la Gare ou au Milan.
— Que dit le neurologue?, lui demandais-je chaque fois, dérouté par l’absence d’un suivi médical énergique.
— Qu’on ne peut rien faire. Il m’écoute, me donne ses conseils, un prochain rendez-vous et basta.
Il haussait ses solides épaules, scrutait un instant l’animation de la rue à travers la fenêtre, et nous passions à autre chose.
Un dimanche de septembre, peu après midi, sur les hauts de Lausanne.
Loïc, la cinquantaine, quitte l’institution où réside son ami Robin
pour descendre en ville et revisiter le passé. Trente-cinq ans se sont
écoulés depuis leurs premières échappées belles, aux abords d’une
rivière. La vie, ensuite, a tracé pour eux d’étranges méandres, fait
mine de donner, un peu, beaucoup, avant de trahir ces semblants de
promesses. Lentement, insidieusement, puis brutalement. Loïc, pourtant,
a eu de la chance, si l’on peut dire. Témoin de drames dans son
entourage qui ne l’ont certes pas laissé indemne, mais debout, au
moins, debout pour faire face et relier aujourd’hui les lieux de ses
souvenirs. Le temps d’une longue promenade à honorer jusqu’au bout, là
où il s’est promis d'aller, à son rythme, seul et sans entraves.
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