Mon Dieu, faites que je gagne de Sonia Baechler
C'est au «Livre sur les quais» à Morges que j'ai croisé Sonia à une
conférence sur le sport. Son histoire attachante m'a donné envie de
lire son livre. Pas de regret! Son récit est poignant, être sœur de...
Être une championne n'est peut-être pas facile mais être la sœur est
sûrement plus difficile encore. Surtout lorsque tes parents n'ont
d'yeux que pour «la gymnaste»… Bien écrit, parsemé de poèmes, ce roman
se lit d'une traite.
PHIL 47
Exister à l’ombre de sa sœur
Récemment paru chez Campiche, le roman de Sonia Bächler intitulé Mon Dieu, faites que je gagne
montre à travers un crescendo parfaitement maîtrisé ce que c'est que
d'être la sœur d'une sportive d'élite sur laquelle se focalise sans
cesse toute l'attention de la famille. Il décrit au passage la machine
à broyer les destins que représente la compétition de haut niveau.
L’auteure de cette autofiction force volontairement le trait avec le
souci néanmoins de restituer le plus fidèlement possible la dérive
d’une famille happée par le miroir aux alouettes de la réussite sportive
Bon à savoir: C’est bientôt les JO: comptez-vous y assister?
Sonia Baechler: Non, j’avais prévu d’aller à Paris cette année, mais on va repousser à l’année prochaine.
Bon à savoir: Aurait-on tendance à confondre bonheur et réussite au point d’attacher plus d’importance à la réussite qu’au bonheur?
Sonia Baechler: C'est un résumé de mon livre. Sous couvert de bienveillance, on a tous en tête la réussite.
Bon à savoir: On
entend souvent dire qu’il ne faut pas chercher la reconnaissance auprès
des autres, mais savoir se la donner à soi-même. Cela vous paraît-il
réaliste? Peut-on se construire une identité indépendamment du regard
que les autres portent sur nous?
Sonia Baechler: Je pense
qu’une part de soi dépend du regard des autres, dans l’enfance, ça
compte énormément pour se construire et apprendre à se faire confiance.
On a tous eu un prof qui nous a fait sentir qu’on est quelqu’un de bien
et qui nous a donné des ailes. Avec un peu de maturité, on commence à
mieux se connaitre, à se découvrir des centres d’intérêt et des dons,
en fonction de nos échecs et de nos réussites. Mais même dans le couple
et en amitié, on a besoin d’encouragements. L’identité est un puzzle, à
chaque étape, on en découvre une nouvelle pièce en lien avec les
rencontres qu’on peut faire.
Bon à savoir:
Certaines compétitions sportives comme le foot semblent euphoriser des
nations entières. Vous y croyez, vous, à ce bonheur par procuration?
Sonia Baechler: Je me
souviens avoir vu mon grand-père pleurer de joie en regardant les
courses de ski. Tout le monde se réunissait autour de la table pour y
assister. Moi, je me suis toujours sentie en décalage. Pareil pour les
matchs de foot: j’y allais pour ne pas rester à l’écart, mais ça ne me
procurait aucune émotion.
Bon à savoir:
L’esprit de compétition nous pousse-t-il inéluctablement aux dérives
que vous décrivez ou peut-on avoir un sain esprit de compétition?
Sonia Baechler: Je me pose la question. Un peu de compétition
peut être stimulante. En 3e du cycle, il y avait dans ma classe un
garçon dont j’étais un peu amoureuse, ce qui me poussait à essayer
d’obtenir de meilleures notes que lui. Mais représenter un canton, une
région, la Suisse, nous empêche d’exister pour soi. C’est le début des
dérives. Je suis ressortie de ces années avec une haine de la
compétition et du sport. Dans le monde d’aujourd’hui, tout est affaire
de compétition. Par exemple les clubs sportifs proposent tout de suite
des concours, que l’enfant soit bon ou pas. On met en avant le fait que
c’est apprendre le dépassement de soi. Je trouve terrible cette
injonction à faire du sport pour être quelqu’un de bien. Je me demande
si ne rien faire, jouer, rêver, n’est pas le plus important dans la vie.
Bon à savoir:
Le grand écart de la petite sœur sur le tapis de la Migros de Sion a
marqué le début d’un engrenage fatal. Est-ce que la possibilité d’y
échapper s’est présentée une fois ou l’autre au cours des onze ans que
vous relatez dans Mon Dieu, faites que je gagne?
Sonia Baechler: Il y a un
moment où tout risque de s’arrêter quand la gymnaste n’est pas
qualifiée pour Macolin sur un malentendu. L’aînée espère d’un côté
pouvoir sortir de l’engrenage, mais elle se rend compte que ça va nuire
à son autonomie naissante. À la longue, elle a fini par y trouver son
compte.
Bon à savoir:
Chaque époque, y compris la nôtre, a imposé aux filles et aux femmes
une façon de vivre leur féminité. Est-ce que c’est encore plus
pernicieux quand on nous persuade que ces diktats sont l’expression de
notre liberté?
Sonia Baechler: À
l’époque dans laquelle j’inscris ce livre, il ne fallait pas être trop
fille. J’avais l’impression que le modèle du garçon manqué incarnait le
summum de la liberté. Ce genre de filles savaient plaire aux garçons,
parce qu’elles leur ressemblaient.
Bon à savoir:
Vous nous présentez l’athlète, la star comme une simple marchandise au
service d’intérêts qui le dépassent. Peut-il s’en rendre compte avant
de tomber du podium?
Sonia Baechler: Ça dépend
de nombreux facteurs. Mes parents n’avaient pas pu réaliser leurs
rêves. C’est une faille que la réussite de la gymnaste est venue
combler. J’aime l’image de l’eau qui gèle dans les failles en hiver.
Mes parents sont entrés dans une sorte d’aveuglement et m’y ont
embarquée. On ne voit que les sportifs qui réussissent, ça occulte tout
le reste. L’enfant qui vit ça est certain d’être quelqu’un
d’exceptionnel. Il se laisse prendre dans une spirale de réussite et de
fierté de soi, même si la pratique de son sport ne lui procure plus de
plaisir.
Bon à savoir:
Un enfant ne peut pas se rendre compte que ce qu’il vit n’est pas
normal, ni donc verbaliser son mal-être, puisqu’il n’a rien connu
d’autre. Est-ce que ce non-dit ne cherche pas à s’exprimer à travers
des troubles du comportement par exemple?
Sonia Baechler: Je ne
suis pas experte, ni psychiatre, mais j’ai vu des filles tomber dans
l’anorexie, voire les addictions. Tout enfant qui ne se sent pas à
l’aise avec l’activité qu’il pratique doit le faire entendre d’une
manière ou d’une autre.
Bon à savoir: Comment vos parents ont-ils accueilli ce livre?
Sonia Baechler: C’est un
roman basé sur des choses qu’on a pu vivre. J’avais quelque chose à
dire au sujet des méfaits du sport à outrance, un questionnement à
exprimer par rapport au dogme « le sport, c’est la santé ».
Est-ce que c’est sain de porter aux nuées des héros du sport ? La
musique, c’est pareil, où placer le curseur pour prendre du plaisir à
apprendre et progresser sans s’enfermer dans une obsession? Mes parents
ont pris de la distance, parce qu’ils ont bien compris qu’il ne
s’agissait pas d’eux. On a tous souffert en se rendant compte de
l’immense machine dans laquelle on a été embarqués.
Bon à savoir: Le livre ne risque-t-il pas de donner une image négative de votre mère?
Sonia Baechler: Ma mère
me lisait des histoires et ne ressemble pas du tout au monstre décrit
dans le livre. Le personnage est un mélange de plusieurs mères que j’ai
observées. Ça s’est imposé à moi de laisser venir une part de fiction.
J’aime trop mentir, inventer, pour m’en tenir à un témoignage. Déjà
petite, je gonflais toujours mes histoires.
Bon à savoir: Avez-vous rencontré d’autres frères et sœurs de qui se sont reconnus dans la situation que vous décrivez?
Sonia Baechler: Je reçois
des témoignages de plus en plus intéressants. Des gens me parlent de
leur difficulté quand tout tourne autour d’une personne, que même les
vacances dépendent des possibilités d’entraînement. J’ai aussi lu le
témoignage d’une mère qui pratiquait un sport à haut niveau et trouvait
formidable que toute sa famille la suive, sans se demander si ses
proches en avaient réellement envie. Je n’ai de réponse à rien, c’est
déjà un grand pas si on peut se poser plus de questions. Beaucoup
d’anciens gymnastes deviennent entraîneurs, comme s’il leur était
impossible d’en sortir. Ce qui me dérange le plus, c’est la certitude
de faire juste.
Bon à savoir: Notre société condamne sans pitié toute forme de jalousie. N’y a-t-il pas pourtant une forme de jalousie saine et légitime?
Sonia Baechler: Je pense
que oui. C’est humain, on ne se fait pas du bien à vouloir masquer tout
le temps ce genre de sentiments. Ce n’est qu’en la laissant s’exprimer
qu’on peut la dépasser.
Bon à savoir:
En choisissant l’écriture plutôt que le sport, avez-vous réussi à
échapper à toute forme de compétition ou rencontrez-vous là aussi une
pression au succès?
Sonia Baechler: Non, ça m’embête qu’on ne parle que de Joël Dicker, je serais vraiment malhonnête de prétendre le contraire.
Bon à savoir, propos recueillis par Sabine Dormond
Une démonstration des dangers du sport à outrance
Les libraires indépendants du
canton nous offrent leurs coups de cœur valaisans. Cette semaine,
Françoise Berclaz-Zermatten, de la librairie La Liseuse à Sion, nous présente Mon Dieu, faites que je gagne, de Sonia Baechler
Bernard Campiche Éditeur a publié l’automne dernier le troisième roman de Sonia Baechler, Mon Dieu, faites que je gagne. On attendait ce livre: le précèdent On dirait toi, était plein de promesses. Neuf ans plus tard, on retrouve une auteure accomplie, dans la plénitude de son talent. Mon Dieu, faites que je gagne
est l’histoire d'une famille, un couple et ses deux filles. Adolescente,
la sœur aînée raconte ce qu’elle a vécu dans son enfance.
Lorsque sa petite sœur avait 6 ans et qu’elle en avait 9, leur mère
avait décidé de les inscrire à un cours de gymnastique artistique. Très
vite la petite se révèle vraiment douée, elle n’a peur de rien, est
casse-cou, surtout elle veut gagner. La grande est l’inverse, elle est
timide, gauche, maladroite. Rapidement la famille est embarquée dans
une aventure sportive qu’elle n’avait ni imaginée ni désirée. Ce qui ne
devait être qu’un loisir sportif va envahir la vie familiale jusqu’à la
bouleverser complètement.
Gagner à tout prix
La machine s’emballe, les parents perdent le contrôle, toute leur vie
s’organise autour des exploits de la gymnaste qui n’a qu’une idée:
gagner des médailles, gagner, gagner, gagner. Les résultats suivent,
elle devient championne suisse, est envoyée à Macolin, a une chance de
décrocher un titre olympique. Pendant ce temps l’aînée souffre, elle
est sensible, rêveuse, romanesque, douée pour l’écriture. Ses parents
ne la remarquent même plus, elle devient transparente, n’a aucune
valeur à leurs yeux. Elle a alors de «drôles» de sentiments à l’égard
de sa petite sœur.
Le lecteur assiste ensuite à la transformation de la mère au fil des
ans, elle change. Elle utilise la notoriété de sa fille pour se mettre
en avant, pour être, Elle, La Star. Elle est aveuglée par son ambition,
ignorant les dangers que court sa cadette: l’anorexie la guette, les
hormones qu’on lui administre l’empêchent de grandir, le manque de soin
la menace quand elle se blesse.
Quant au père il a démissionné, sa femme le méprise, leur relation qui
était bonne s’est détériorée, les jeux sont faits, rien ne va plus…
Sonia Baechler le dit: ce livre est en partie autobiographique, en
partie seulement, car les personnages l’ont emportée bien au-delà de la
réalité. Quoi qu’il en soit ce livre est passionnant, l’analyse
psychologique y est fine, la dénonciation des dangers du sport à
outrance fait froid dans le dos, l’écriture est belle. Il se lit d’une
traite.
FRANÇOISE BERCLAZ-ZERMATTEN, Librairie La Liseuse, Sion
Être sœur de gymnaste d’élite, c’est aussi du sport
Sonia Baechler narre d’une
plume tendrement ironique une enfance passée à l’ombre d’une cadette
qui enchaîne les compétitions, jusqu’à viser les JO
«Entrer en compétition comme on entre en religion.» C’est ce qu’a vécu
Sonia Baechler enfant. Sauf que l’athlète, ce n’était pas elle, mais sa
sœur cadette, qui a montré très tôt des dispositions exceptionnelles
pour la gymnastique, survolant les entraînements et enchaînant les
victoires régionales. Or, lorsque la petite psalmodie «mon Dieu, faites
que je gagne», c’est toute une famille qui vibre et qui prie à sa
suite. Car, pour y arriver, la compétitrice a besoin du soutien
inconditionnel de ses parents, mais aussi de sa sœur aînée.
De cette expérience, l’autrice installée à Chardonne a tiré un roman,
qu’elle dédie «à toutes les sœurs et à tous les frères de…» Ce livre,
qu’elle porte depuis très longtemps, est né d’un constat: «Si l’on
entend toujours dire que l’entourage d’un sportif d’élite ou d’un
musicien de haut niveau est capital, il existe très peu d’écrits sur la
manière dont la fratrie a vécu cette situation», relève l’autrice au
téléphone.
La voie fictionnelle s’est imposée: «Ce livre est très fortement
inspiré de mon expérience personnelle, mais j’avais besoin de prendre
de la distance, de me faire plaisir et de voir jusqu’où mes personnages
allaient me mener. J’ai pris des libertés avec notre histoire
familiale, ajouté des anecdotes arrivées à d’autres… Mes parents ne
sont d’ailleurs pas du tout ceux du livre.»
Vocabulaire religieux
L’écrivaine a surtout voulu transmettre cette adhésion immédiate et
totale à la cause sportive, avec l’emploi d’un vocabulaire guerrier,
mais aussi religieux: «Il fallait y croire absolument, y aller avec la
même ferveur qu’à la messe…» La révélation advient dans les années
1980, lors de banales courses familiales au Centre Métropole du
chef-lieu valaisan, où se présente la société Sion-Gym. La narratrice a
neuf ans. Sa sœur trois de moins.
«Un beau jour, le centre commercial, un grand écart, et nous prenons
onze ans de gymnastique et perpétuité pour l’âme et le corps», écrit la
Valaisanne d’origine. Elle aurait pu situer l’histoire n’importe où,
mais elle a voulu l’ancrer dans des lieux qu’elle avait en mémoire.
Voltiger dans sa tête
Dans un style ciselé aux accents poétiques, avec un sens certain de la
formule, une douce ironie et beaucoup d’autodérision, qui évitent tout
mélodrame, elle décrit la vie de l’aînée depuis ce saut inconditionnel
dans la gymnastique, auquel elle n’a pas échappé. Extrait: «Elle est si
raide, notre grande, a dit papa. Ils ont pensé que là où la petite
aurait du plaisir, je trouverais mon équilibre.»
Or la narratrice n’a aucune aptitude pour ce sport. Elle fait partie de
ces filles qui «veulent juste voltiger dans leur tête». Mais la voilà
participant à des entraînements bihebdomadaires et à des concours où
elle chute régulièrement, finissant dans les limbes du classement,
tandis que l’autre, la plus jeune, qui porte le même patronyme, brille
au sol et sur la poutre.
L’icône Comaneci
Cette benjamine qui occupe toute la place, la narratrice ne l’appelle
pas autrement que «la gymnaste». Elle la regarde avec une certaine
jalousie, mais aussi une peur viscérale qu’elle échoue, tombe, se fasse
mal… Or «la gymnaste» progresse, jusqu’à intégrer le centre national de
Macolin, avec les JO en vue, dans un système dont la narratrice perçoit
les défaillances: souffrances quotidiennes, blessures minimisées,
dictature de la balance, féminité bridée… C’est l’époque où brillent
les brindilles roumaines. Dans sa chambre, «la gymnaste» s’endort
d’ailleurs sous le regard conquérant de Nadia Comaneci.
Le roman relève aussi, dans un bref passage, comment les entraîneurs
poussaient les filles, tout en sachant que certaines n’auraient aucune
chance. Derrière la distance humoristique, on entend soudain ici une
voix qui dénonce: «Oui, le discours est fort, mais il est aussi
nécessaire. Je trouve qu’on ne parle pas suffisamment des personnes qui
sont laissées sur le côté, celles à qui on fait croire que tout est
possible alors qu’on sait très bien que les chances de réussite sont
infimes.»
Ce livre raconte aussi la découverte de l’écriture, qui arrive lorsque
l’aînée se trouve libérée de l’obligation de suivre toutes les
compétitions: «Il y a tout à coup un domaine dans lequel l’héroïne est
douée et qui, elle l’espère, la fait enfin exister dans le regard de
ses parents.»
CAROLINE RIEDER, 24 Heures
Mon Dieu, faites que je gagne
Toxique sous ses bonnes intentions, la famille de la narratrice encadre
les vies parallèles de «la petite», enfant gymnaste de haut niveau que
les parents accompagnent avec dévotion, et «la grande», dont les
talents comme les rêves, négligés, fanent dans l’ombre. Sous la plume
franche et juste de Sonia Baechler, la voix ironique et désespérée de
l’aînée bouleverse, car la cruauté inconsciente des adultes est une
violence qui ne dit pas son nom… Ce roman, plein de justaucorps irisés
et d'arabesques, est noir et amer jusqu’à la dernière page.
Marie-Claire Suisse
Implacable gymnastique
C’est sport, la vie, lorsque les parents sont à fond derrière leur
fille, douée en gymnastique au temps des Chouchounova et des
Comaneci…Mais voilà: cette cadette a une grande sœur. Peu douée pour la
gym mais habile pour manier les mots, elle narre ses ressentis dans Mon Dieu, faites que je gagne,
troisième livre de l’écrivaine valaisanne Sonia Baechler. Dieu? Dans un
Valais marqué par son passé catholique, on compte sur Lui pour
favoriser les qualifications, qu’il s’agisse d’accéder au site sportif
de Macolin ou d’obtenir une qualification aux JO. L’auteure dévoile un
monde sans pitié et décrit plus d’une situation trouble, vécue aux
mains d’un entraîneur trop tactile ou d’un médecin négligent.
«Échauffement. Force. Souplesse. Poutre. Sol. Saut. Barre. Étirement.
Force. Tu n’as pas assez de force. Cinquante appuis faciaux!» Mon Dieu, faites que je gagne
trouve dans ses pages les plus fortes la musique martiale des consignes
des moniteurs. C’est celle de la gagne, qui résonne avec celle, amère
ou jalouse, de la narratrice, que ses parents ont assignée au rôle
ingrat de soutien sommé de s’oublier.
DANIEL FATTORE, La Liberté
Dans l’ombre d’une étoile
Dans Mon Dieu faites que je gagne, Sonia Baechler décortique avec justesse ce que signifie être la sœur d’une gymnaste d’élite
Sion, 1985. Elles ont 6 et 9 ans. À la Migros, des gymnastes font une démonstration sur la musique de La Guerre des étoiles.
La petite se faufile parmi elles pour faire le grand écart et est tout
de suite repérée. On inscrit aussi l’aînée: elle est si raide, ça lui
fera du bien. Mais la grande, maladroite et rêveuse, préfère la danse
et les mots à la discipline quasi militaire de la gymnastique
artistique. Sa vie basculera pourtant, comme celle de toute la famille,
car à la cadette surdouée on promet les sommets.
Qu’est-ce que ça fait, d’être la sœur d’une gymnaste d’élite? Comment
exister quand sa benjamine brille sous les projecteurs, et que le
quotidien tourne désormais autour de son succès, de ses sacrifices?
Rien n’a jamais été écrit sur la question, découvre la narratrice de Mon Dieu, faites que je gagne, rien du point de vue des frères et sœurs pris·es dans cette ascèse, cette soumission du quotidien à un but plus grand que soi.
Autour de la championne
Choisissant le point de vue de l’éternelle numéro deux, Sonia Baechler
décrypte ce que veut dire grandir et se construire dans un contexte où
il n’y a d’yeux que pour l’autre, et trouve la juste distance pour
aborder un sujet brûlant. Entre lucidité et douce ironie, le troisième
livre de l’autrice valaisanne prend la forme d’une autofiction
percutante et sensible.
Il y a donc la gymnaste, la sœur de la gymnaste (jamais nommées) et
leurs parents, tendus vers un seul but: que la cadette réalise son
rêve. Car la petite a dit oui, les yeux pleins d’étoiles. Mais la
machine qui s’est mise en branle broie tout sur son passage, et autour
de la famille se met en place un système qui va bouleverser pendant
onze ans la vie familiale: celui de la gymnastique artistique de haut
niveau. «Entrer en compétition comme on entre en religion. Accepter les
codes, les règles, les dogmes et rejoindre la prière: Mon Dieu, faites
que je gagne.»
On ne saura rien de l’intimité de la gymnaste elle-même, toujours vue à
travers le regard de sa sœur. Mais tout tourne autour d’elle, de son
régime, de ses compétitions, de ses horaires – plus de trente
heures d’entraînement par semaine. Pour réussir, elle doit être
acceptée dans l’Élite, rejoindre le Centre de performance de la
Fédération suisse de gymnastique à Macolin, sur les hauteurs de Bienne.
Elle vise la sélection olympique. À chaque étape, la famille est
derrière elle et l’aînée sommée de la soutenir, d’être présente
– «Tu es tellement importante pour elle, elle t’aime si fort», dit
la mère. Cette injonction culpabilisante piège la narratrice, fait
naître peu à peu en elle une colère indicible.
Quand la gymnaste rejoint Macolin, on devine la solitude de
l’adolescente arrachée à sa famille, prise dans les restrictions
imposées par une discipline de fer. Car derrière le rêve de perfection
et de légèreté, derrière la grâce d’une Nadia Comaneci qui a fasciné
des générations de filles, il y a des enfances volées, des corps et des
esprits brisés – la violence d’un système dénoncée il y a
quelques années sans que rien ne change fondamentalement. Sans
l’aborder de front, Sonia Baechler montre des adultes complices, entre
un entraîneur opportuniste qui fait progresser sa carrière en
fabriquant des championnes à n’importe quel prix, et des parents
aveuglés par le rêve de leur fille, devenu le leur.
Comment exister?
La narratrice n’a aucune place, dans cette constellation, pas plus que
les critiques ou les doutes. La petite est si parfaite, son rêve si
immense. N’a-t-elle pas honte d’être jalouse?
«Je me demande parfois. Que se serait-il passé si nous avions appris à
respirer quelque part sur la route? Si nous avions laissé le courant
entrer et que nous nous étions assis pour écouter?» L’aînée n’a de
cesse de chercher son air, d’attendre son heure, d’espérer que cela
s’arrête, et Sonia Baechler montre tout en finesse les questionnements
de cette grande sœur ambivalente, inexistante, prise en tenaille entre
la loyauté familiale et le besoin de fuir une dynamique qui l’étouffe.
Alors, comment faire pour que ça cesse? Comment exister? Par
l’écriture, peut-être?
Le récit, dense et tenu, s’ouvre et se clôt par la scène d’une dédicace
en librairie. Mais le problème de la littérature, pour les proches,
c’est qu’il faut prendre le temps de lire, constate la narratrice avec
une bonne dose d’autodérision. «Feuilleter ne sera pas suffisant. Il va
falloir lire le livre de celle qui n’a jamais su faire une roue mais
qui, allez savoir comment, est devenue, à l’ombre de la poutre, une
femme qui écrit.» Une femme qui s’est libérée? Du regard de ses parents
sans doute, pour lesquels elle sera toujours la sœur de.
ANNE PITTELOUD, Le Courrier
Voyage dans l’intimité de deux sœurs
La romancière Sonia Baechler,
qui a été institutrice à Bavois et a animé des ateliers d’écriture à
Orbe sort Mon Dieu, faites que je gagne, un récit poignant dans les
coulisses de la famille d’une sportive d’élite
«Dans les couloirs de la Migros de Sion, elle fait un grand écart sur
le tapis de sol. Elle, c’est ma sœur, elle a six ans. J’en ai neuf.
Elle a des couettes, un brin d’enfer dans le sourire, du paradis dans
les yeux, c’est sûr, il y a quelques chose. Un grand écart et nous
prenons onze ans de gymnastique et perpétuité pour l’âme et le corps.»
Aucun souffle ne soulève le voile des émotions chez cette sœur si bien
conditionnée, si bien formatée. Jusqu’au dénouement final. Mais nous
n’en sommes pas encore là.
Sonia Baechler aime la danse. Sur scène elle a la sensation de voler.
Ses parents pensent que ça lui ferait du bien de faire de la
gymnastique. «La gym, c’est plus dans l’air du temps», a dit sa mère.
Et puis ça rapprochera les deux sœurs. Mauvaise spéculation. Dès lors
tous les moyens sont mis en œuvre pour que la cadette atteigne les
sommets de la discipline qu’elle a choisie (mais est-ce vraiment un
choix assumé à cet âge-là?)
Un livre qui va au fond des choses
Pour Sonia Baechler, elle deviendra «la gymnaste». Ce sera le grand
écart entre les deux sœurs. Sonia Baechler est animée d’une vive
intelligence. Son analyse de la psychologie de ses personnages est
fine. On ne reste jamais en surface. Elle fouille les entrailles. Les
siennes, mais aussi celles de ses parents. La gymnaste? Elle est lisse.
Ses entraîneurs ont réussi à en faire une machine à gagner. On lui a
instillé dans le cerveau un mantra: «Si tu veux, tu peux». Dès lors,
elle est sur la rampe de lancement. Avec le saint-graal en point de
mire: être sélectionnée pour les JO.
La romancière fait des incursions dans l’enfance de sa mère, dans celle
de son père. Elle rapporte les régimes que la mère a pratiqués. Elle
fait ingurgiter des pâtées infâmes, mais si bénéfiques pour la
gymnaste. Cette dernière n’est pas l’unique cobaye. Les autres membres
de la famille n’y échappent pas. La mère y trouve à chaque fois une
justification.
Mais l’œuvre de Sonia Baechler intègre aussi une partie d’humour. Et
quel humour! On s’en fait des tartines de bonheur. Même si parfois, le
beurre a un léger goût de rance, il est vrai…
À lire sans modération
Son écriture est aérée, légère comme un couple salto, ciselée,
incisive. Mon Dieu, faites que je gagne est un livre qui se déguste
comme une pâtisserie exquise, sans craindre les calories… même pour les
gymnastes. Sonia Baechler est incontestablement en train de gagner sa
place au panthéon des auteurs romands.
ELIANE HINDI, La Région
La vie de famille sacrifiée d'une gymnaste d'élite au coeur d’un roman signé Sonia Baechler
Pour son troisième roman, l’écrivaine valaisanne Sonia Baechler s’est
inspirée de sa propre histoire: celle d’être la grande sœur d’une
gymnaste hors norme. Mon Dieu, faites que je gagne est une immersion totale dans le sport d’élite, une machine qui broie tout sur son passage.
Sion, 1984. Dans les couloirs de la Migros, les gymnastes de la société Sion-Gym font leur démonstration sur la musique de La Guerre des étoiles.
Fascinée par le spectacle, une petite fille de six ans les rejoint et
fait un grand écart sur le tapis de sol. Elle est tout de suite repérée.
Cette famille ne le sait pas encore, mais elle va prendre coup sur coup onze ans de gymnastique chevillée à l’âme et au corps.
Autofiction
Une fois la dernière page de Mon Dieu, faites que je gagne
terminée, une question nous vient directement à l’esprit: Sonia
Baechler a-t-elle vraiment vécu tous ces bouleversements et ces
sacrifices en lien avec le parcours sportif de sa sœur? La réponse est
à l'image de l’écrivaine, tout en nuances: «J’ai trituré et mis les
mains dans une expérience vécue. Mais cela reste un roman»,
explique-t-elle à la RTS le 29 novembre. Ce n’est pas un récit de vie,
ni une autobiographie. Les parents, la gymnaste ne sont pas les miens.
En revanche le «je» se rapproche plus de ce que j’ai vécu.»
Tout comme sa narratrice, Sonia Baechler est une grande rêveuse, plus à l’aise avec les mots qu’avec son corps. Mon Dieu, faites que je gagne
tient plus de l’autofiction que de l’autobiographie. Il n’empêche,
l’immersion dans le monde de la gymnastique artistique est totale.
«J’ai trituré et mis les mains dans une expérience vécue. Mais cela
reste un roman. Ce n’est pas un récit de vie, ni une autobiographie.
Les parents, la gymnaste ne sont pas les miens. En revanche le «je» se
rapproche plus de ce que j’ai vécu.»
Sport et religion
Dans cette histoire, les protagonistes n’ont pas de nom. Il y a le
père, la mère, la gymnaste et la sœur de la gymnaste. Au fur et à
mesure des années, celle-ci franchit les paliers, se qualifie dans
l’élite, part étudier à la Haute école fédérale de sport de Macolin
(BE). Et la famille est embarquée à 200%: déplacements dans toute la
Suisse, régimes spéciaux à base de graines, aide aux devoirs. «Il faut
lui faciliter la vie, c’est tellement dur pour elle», répète
inlassablement la mère.
Réveil à cinq heures, école, trente heures d’entraînement par semaine,
force, souplesse, douleurs, serrer les dents, solitude, concurrence
avec les autres filles … En sport, comme en religion, les mantras sont
nombreux.
Installée au cœur des gradins, la narratrice constate, amusée, la
présence de Jésus, de Marie, de crucifix, bouddhas, grigris en tout
genre, parmi les mères des gymnastes. Et cette phrase souvent répétée à
mi-voix, avant chaque compétition. Mon Dieu, faites que je gagne.
Paradoxe de l’excellence
Avec ses 3'000 clubs répartis sur l’ensemble du territoire, la
gymnastique artistique est, tout comme le football, un sport ultra
populaire. Mais les premiers spectacles des pupillettes à couettes
font rapidement place à un monde beaucoup plus dur.
Au final, elles seront cassées, brisées peut-être. Mais il en restera
toujours une. Une qui aura tenu le coup le temps de monter sur un
podium, de se qualifier pour les JO.
Ce paradoxe de l’excellence, Sonia Baechler en est tout à fait consciente, elle-même étant fascinée par les spectacles du Béjart Ballet.
«Il y a quelque chose de magnifique dans ces danseurs et danseuses. Et
j’ai beau voir les années d’entraînements difficiles, finalement je me
laisse aussi emporter dans la beauté de leurs gestes.»
Faire mieux, limiter les dégâts sur les corps, les esprits et les
familles, entourer l’excellence de bienveillance, voici quelques
graines que Sonia Baechler aimerait bien semer, grâce à son dernier
roman Mon Dieu, faites que je gagne. Mon Dieu, faites qu’elle y parvienne.
QWERTZ/SARAH CLÉMENT
«Entrer en compétition comme on entre en religion. Accepter
les règles, les dogmes et rejoindre la prière: Mon Dieu, faites que je
gagne.»
La narratrice a attendu plus de trente ans pour écrire un livre sur
elle et sa sœur, «la gymnaste», pour le sport de compétition de
laquelle toute sa famille a tremblé pendant des années:
«Pour rire de moi et de mes trous de mémoire, j'inventerai par ci et par là et peut-être partout. Ce qui me réjouit.»
Tout a commencé alors que sa soeur avait six ans et elle neuf. Elles ne
savaient pas encore qu'elles avaient pris dès lors «onze ans de
gymnastique et perpétuité pour l'âme et le corps».
Elle est mauvaise dans cette discipline: «Je suis même nulle.» Leurs
parents ne l'entendent pas de cette oreille. Ils aimeraient que leurs
deux filles concourent dans toute la Suisse.
Pour leur faire plaisir elle s'entraîne au club de Sion, mais c'est sa
sœur qui passe les tests du Centre cantonal valaisan et que la famille
va soutenir tous les dimanches que Dieu fait.
Sa sœur, comme les autres gymnastes, «rêvent toutes de devenir la
nouvelle Comaneci, la poupée garçonne, l'élastique star de toute une
nation,» tandis qu'elle se contente de participer.
L'univers de la compétition est impitoyable. Léo, l'entraîneur, répète
à ses élèves «que pour réussir il faut souffrir, endurer, refaire,
encore, vouloir,» autrement dit: «si tu veux, tu peux.»
Autant sa sœur se plie à ce régime, autant elle regimbe, puis renonce,
ce qui la soulage. Ses parents et elle ne vivent plus désormais qu'au
rythme de sa petite championne de sœur.
Son entraîneur, Léo, présente «la gymnaste» à Serghei, le chorégraphe
roumain, pour qu'elle passe l'examen d'entrée au Centre sportif
national de Macolin/Magglingen, près de Bienne.
Elle est partagée devant l'alternative: si sa sœur échoue, la vie
reprendra comme avant; si elle réussit, elle perdra la liberté qui lui
est laissée quand sa mère assiste aux entraînements.
Sa sœur a réussi. Les entraînements se déroulent dans le Valais, mais,
pour ne pas rester dans l'ombre, il faut accepter, dixit Léo, de
déménager près du site d'entraînement national.
Léo y trouve son compte puisque lui aussi rejoindra l'équipe nationale.
Où la gymnaste logera-t-elle? Dans une famille d'accueil. La gymnaste
ne lui manque pas, la soeur, oui.
Après un Noël, les entraînements reprennent, plus durs: «la gymnaste»
ne doit pas être «trop fille,» alors qu'elle, elle l'est. Aussi ne
l'envie-t-elle pas, sauf que sa sœur est «trop parfaite.»
À la fin de cette satire de la compétition sportive, Sonia Baechler lui
fait poser la question sans réponse de «ce qui vient après…» la montée
de sa soeur sur les podiums suisses et européens.
Blog de FRANCIS RICHARD
Grandir à l’ombre d’une championne
Sonia Baechler raconte dans Mon Dieu, faites que je gagne
une enfance et une famille, placées sous le signe de la gymnastique
artistique de compétition que pratique la sœur cadette. Original et
bien mené
Le jour où la sœur cadette de la narratrice, petite puce tonique et
souple, est repérée par un entraîneur de gymnastique artistique en
Valais, la vie de famille bascule. Le père et la mère, ravis du talent
de leur fille, mettent leurs week-ends, et bientôt leurs soirées et
leur salaire, dans cette aventure qui les grise et les remplit de
fierté. Mais peu à peu, cette belle dynamique s’emballe et vire à la
névrose familiale. Les parents se mettent à vivre entièrement au rythme
de la gymnaste. Nourriture, entraînements, compétitions, blessures,
objectifs: il n’y a plus d’individus, de «je» ou de «tu», mais une
seule équipe familiale tendue vers les sélections pour des championnats
de plus en plus prestigieux. De la sœur, silencieuse, en retrait, on
attend à la fois moins, mais en le faisant savoir avec condescendance,
et plus, sous prétexte que sa vie est plus facile que celle de la
championne. Lorsqu’elle se met à écrire de la poésie et dessiner dans
des carnets, la mère la ridiculise et évoque un passe-temps inoffensif.
Lorsqu’elle ramène la note maximale en dissertation, la mère, au lieu
de la féliciter, lui demande de rédiger la dissertation de la jeune
gymnaste.
Mon Dieu, faites que je gagne
est un cri du cœur. Celui d’un dommage collatéral, une sœur aînée
embarquée malgré elle dans une histoire familiale qui l’a privée d’un
pan entier de son enfance. Si souvent, elle veut qu’on lui rende les
parties de cache-cache avec sa sœur, les dimanches tout simples de
promenades en famille. Si souvent, elle se met à espérer une défaite,
une petite blessure, juste de quoi stopper la machine infernale. Si
souvent, ce qu’elle espère l’horrifie.
Pudique, subtil et émouvant, c’est aussi un roman à suspense
psychologique qui se lit avec avidité, tant la tension est grande –
l’on sent bien à quel point le drame menace. Sonia Baechler embrasse
avec naturel et fluidité trois thèmes majeurs: la dynamique familiale
lorsqu’elle se déséquilibre, les relations entre sœurs lorsque l’aînée
se retrouve privée de son rôle protecteur et complice, et enfin le
sport de compétition et de la gymnastique artistique en particulier. On
sent l’auteure particulièrement touchée par la manière dont on dresse
véritablement les filles, stoppant leur puberté pour éviter de prendre
du poids, donnant tout pouvoir à des entraîneurs aux méthodes
discutables. Impuissante, elle voit sa jeune sœur s’endurcir et
souffrir sans se douter que ce qui fait son bonheur d’un jour fera son
malheur d’une seule pirouette.
ISABELLE FALCONNIER, LivreSuisse
Il
y a la gymnaste d’Élite et il y a elle, la grande soeur, qui rêvasse
trop et qui ne sait pas mettre un pied devant l’autre. Au milieu des
concours, des entraîneurs à l’ego démesuré et de toute une famille
embarquée dans l’aventure tragi-comique d’une vie dédiée au sport, elle
n’existe qu’en faisant de la résistance.
Quand la petite prodige atteint les sommets, elle comprend qu’elle doit coûte que coûte se trouver une voie de sortie…
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