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L’homme
ne s’est-il – décidément – assez interrogé sur sa présence au monde
pour y avoir enfin trouvé sa juste place? Le voilà encore en débat, même
filant sa pelote, paisiblement assis parmi les trois règnes. La nature
est son miroir où il se voit à l’envers et à la merci de quelques
malentendus. Ainsi, l’appropriation de l’espace en accord avec
l’animal ne s’est pas faite sans heurts, suscitant autant de querelles
qu’éveillant de vocations bienvenues.
Certains ont hérité de leur maître telle passion pour la gent ailée ou
la vie des rivières et il arrive après des années de simple et obstinée
observation, qu’ils en sachent davantage que leur initiateur à propos
de la pipistrelle ou d’un énigmatique mollusque. De tels humbles
passeurs, comme notre Guy-Noël Passavant, éclairent cette universelle
concertation éprise d’harmonie.
À quoi le poète ajoute que dans la contemplation bouillonne l’urgente
inspiration – celle du verbe, celle du souffle – qui fait vivre.
À l’affût et à bonne distance, il dépose ses vers luisants au long des
chemins d’herbe et d’ombre de ceux qui le précèdent.
ALEXANDRE VOISARD
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L’éditeur
Bernard Campiche sort tour à tour les deux derniers ouvrages mettant un
terme à l’intégrale des œuvres complètes d’Alexandre Voisard en
camPoche et le superbe Bestiaire de Guy-Noël Passavant, un nouveau recueil de poèmes.
Alexandre Voisard continue de fouiller les mots en remuant ciel et terre
Alexandre
Voisard poète. La dénomination apparaît depuis belle lurette comme un
pléonasme. À considérer l’ampleur de l’œuvre, la cohérence de la visée
poétique, l’établissement d’une patrie littéraire qu’on a trop souvent
confondue avec une patrie politique – et pour cause puisqu’il
revendique encore et toujours son statut de poète de la libération du
Jura –, une intégrale telle que l’éditeur Bernard Campiche vient de
compléter avec les Nos 7 et 8 permet d’avoir une
vision claire de cet écrivain majeur, présenté par l’universitaire
d’origine jurassienne André Wyss.
Aveuglements fugaces
Pourtant collé à jamais à ses arpents de vers, l’écrivain ne cesse de
produire des livres. Comme si, par sa force renouvelée, chacune des
publications fragilisait l’auteur de la précédente. Restent à chaque
fois ces aveuglements fugaces sur des fonds de soleil couchant qui
n’ouvrent sur rien d’autre que sur l’instant et les mots eux-mêmes. Les
mots qui, chez Voisard, ne disent pas l’éternité mais retournent du
ciel à la terre. Inlassablement. À eux de renaître. Le poète y
retrouvera les siens. C’est ce que l’on découvre en lisant le recueil De cime et d’abîme paru l’an dernier chez Seghers et surtout dans Le Bestiaire de Guy-Noël Passavant, qui sort tout chaud de presse chez Campiche.
Le Prix Édouard-Rod
Le mois dernier à Ropraz, il a reçu une nouvelle distinction, le Prix
Édouard-Rod des mains de Jacques Chessex lui-même. C’est l’œuvre de
toute une vie qui est à nouveau couronnée. Une œuvre qui prend
naissance dans l’enfance du poète et qui puise sa sève dans les mots et
la nature, tous deux allant former un langage ininterrompu: «Toute
chose alors me parlait un langage dont je ne saisissais que des bribes
que j’entassais fébrilement et qui finirent par constituer un fonds
d’énigmes auquel, devenu homme, je mesure encore ma chance et mes
cadences», avoue-t-il dans son autobiographie rééditée dans l’intégrale
(collection camPoche).
La bestialité de l’homme
«Un
jour, j’hésite sur les sentiers des bêtes, comme le cosaque qui doute
soudain de sa monture après tant de chevauchées communes», renchérit-il
dans ses Carnets et chroniques, No 7 de la même
collection. On y puise cette manière de versifier en vers libres, ils
contiennent la force du haïku, plus librement. On y puise aussi le sens
de la couleur, une autre caractéristique de l’écriture flamboyante de
notre poète: «Le rouge du sureau, au-dessus de la mer des orties,
braille et fait tache.»
C’est aussi sur un fonds d’énigmes que démarre Le Bestiaire de Guy-Noël Passavant,
ce dernier étant un vague anachorète vivant dans une cabane et
qu’Alexandre Voisard explique avoir rencontré dans sa jeunesse. À sa
mort, il en aurait retiré un carnet de poèmes délavés, presque
illisible, lacunaire. Au poète vivant de le compléter en une poésie
«infiniment en devenir». Une manière de s’interroger sur sa propre
nature d’homme et de poète. Une nature bestiale, car «De la bête à
l’homme / il n’y a pas de gouffre / ni entre les deux / de jungle
hostile / en vérité il n’y a qu’un pas / un pas de géant posé / dans un
limon de patois / où barbota l’ange amnésique». Alexandre Voisard
serait-il le dinosaure du Jura? Il n’en livre pas moins ses rumeurs
intérieures, ses «sourdes imprécations» et il ne dit ce qu’il pense
«qu’à ceux qui peinent sur mon jargon». Et son jargon devient chant
pour la fin du temps. Ses «Portraits d’oiseaux» sonnent comme les
harmonies insolites du compositeur Olivier Messiaen et ses Sept livres du catalogue des oiseaux.
Après les quinze poèmes de «De la bête à l’homme», quinze autres disent
les notes du haut: la pie, l’alouette, le geai, la fauvette, la
faisane, les corneilles, la mésange, le serin, le rossignol, la
perdrix, le coucou, le verdier. Et le faucon captif: «Le bleu du ciel /
retient captif le faucon / sa seule proie son seul bien / dans ce néant
d’azur / et l’oiseau garde sa salive / et son cri pour un juste /
retour des choses.»
Du ciel à la terre
Un retour à la terre et ses fourmillements. Les «Aléas des limons» sont
des poèmes pleins de sucs et de mouvements où les fourmis sont en
pèlerinage et le hanneton «un fraternel pèlerin». Alexandre Voisard
fait du terreautage avec les mots. Il propose une mystique du compost.
Chez lui, pas de grandes errances, il n’est pas du voyage fondateur des
grandes religions. Il débande avec l’escargot, il trafique avec «la
population des bouses»; et s’il existe un ciel, il reste à hauteur de
fleur pour soupirer: «Quoi que tu dises au bourdon / qui gagne avant
toi / les faveurs de l’étamine / tu seras toujours en retard / d’un mot
sur le psaume du serpolet / qui devine le fou entre les sages / dans la
confuse cohorte des saints / égarés entre complies et matines.»
En surface, le loup, le renard et la belette apparaissent, dans «De la
biche au loup», comme des blasons pour consolider le remords, fixer la
douceur des ans, souligner «le tranchant et l’aigu / de notre propre
langue».
Dans les derniers poèmes des «Travaux ailés», il est encore question du
ciel, mais c’est pour donner avec l’alouette «la plus haute octave du
miroir». L’octave ne sera toujours en effet que son propre miroir sur
l’échelle du haut et du bas. Le ciel, chez Voisard, se mire dans la
terre. Si la grande inversion annoncée en début d’ouvrage alors que «Le
coq chante si haut / que l’étoile du berger / en tombe de son lit /
tandis que la lucarne du toit / tout à coup s’ouvre à l’envers / dans
un vacarme de tuiles courroucées», c’est que, justement, le poète règle
ses comptes avec la vie sublimée, la transcendance. «…toi qui attends
de la vie / des signes plutôt que des fruits / plutôt que des
pourboires», s’exclame-t-il. Et il remue ciel et terre pour se faire
entendre. Avant de retrouver la Terre Mère.
YVES-ANDRÉ DONZÉ, Le Quotidien jurassien
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Alexandre
Voisard, c’est bien sûr notre poète «national». Mais il est bien plus
que cela. Il pourrait, s’il le voulait, vivre sur ses réserves. Mais ce
n’est pas le genre de la maison. Chaque nouveau livre est un nouveau
travail intérieur. Une exploration. Sa démarche est donc tout le
contraire de l’art pour l’art. Rien de l’humain ne lui est étranger. Son
dernier livre s’ouvre sur le portrait de Guy-Noël Passavant, un
«sauvage» qui vivait dans une forêt. Après sa mort, il trouvera dans sa
«maison» un carnet bleu. Un fatras en vérité : des notes sur sa
relation avec les animaux. La lecture de ce carnet va déclencher de
belles rêveries chez notre poète. Sa «marque» de fabrique, c’est la
qualité de son regard, un regard amoureux, et son pouvoir de rendre
«visible» la beauté du monde. En lisant Alexandre Voisard, on «entend» une voix si claire, si mélodieuse. Quel grand artiste !
PIERRE PAULI, Le Jura libre et Le Temps
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Un sacré bestiaire qui chante dans tous les temps
Que
de merveilles à guetter ces gestes de jour et de nuit, ce monde qui
passe dans le « camarade busard », le héron, le merle, la
truite, le chevreuil et le lézard, ce monde qui va dans « les
étranges travaux du renard », ce monde qui est Le Bestiaire de Guy-Noël Passavant.
Sacré Alexandre Voisard qui nous conduit dans l’élan de sa phrase vers
ces miroirs d’animaux et leurs fables. Vers ce temps qui tout à coup
s’arrête : « Heureux l’élu dont la plume en dame de cœur
conte tout bas ce que la pie crie sur les toits. »
JEAN-DOMINIQUE HUMBERT, Coopération
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Le Bestiaire de Guy-Noël Passavant
Voici le troisième livre de poésie d’Alexandre Voisard depuis la publication de son Intégrale.
Pour lui, l’écriture, plus qu’une activité parmi d’autres, est un état
et un exercice de vie. Pour le poète, elle est le moyen d’atteindre,
d’approcher tout au moins, le mystère du monde. À la lecture de ce
recueil, on est plus assuré que jamais qu’Alexandre Voisard est sans
cesse à la poursuite de ce qui est derrière le miroir. Sa recherche
n’est nullement livresque, elle s’inscrit dans la nature qui
l’environne et dont il scrute les manifestations les plus subtiles avec
une attention toujours en éveil. Nul observateur plus attentif que lui,
il est capable de percevoir les associations les plus inattendues comme
les plus évidentes. Aucun langage mieux que celui de la poésie ne se
prête pour lui à cette plongée dans les abîmes. Ne reposant pas sur un
récit, elle tire sa force de la seule puissance des mots, des images
qui surgissent comme des fulgurances au détour du chemin. Par là, elle
est l’instrument privilégié de l’indicible. Mais ce dernier, parce
qu’il relève de l’absolu, se dérobe sans cesse à la quête de l’artiste.
Le message d’Alexandre Voisard n’est cependant ni pessimiste ni
désespéré. Sa poésie exprime au contraire une grande sérénité. Elle
trouve ses racines dans la certitude – non pas simplement
intellectuelle – de l’auteur que la vie inlassablement triomphe de la
mort. N’est-ce pas ainsi qu’il faut interpréter le bref poème que
voici: Il est venu quand même ce jour / de fin d’été qu’on refusait
de voir / le vermillon s’éteint / dans l’œil sec de la grive / tout va
devoir recommencer / un beau matin sitôt / que les plumes auront clamé
/ leur impatience de rebâtir une vie / digne de l’archiviste attendant
/ qu’on le réveille parmi / les livres mi-clos. En quelques vers seulement s’exprime la fin de l’été (elle se manifeste, curieusement, par le vermillon qui s’éteint dans l’œil sec de la grive),
annonciatrice du silence en apparence définitif de l’hiver qui contient
pourtant déjà la certitude du renouveau. Celui-ci surgit – le poète dit
– un beau matin et il ajoute sitôt / que les plumes auront clamé / leur impatience de rebâtir une vie. Les plumes qui clament leur impatience ont ici la force de l’évidence.
D’après l’auteur, les poèmes de ce livre lui auraient été inspirés par
des notes à peine lisibles retrouvées dans la cabane d’un étrange
personnage fréquenté par lui autrefois, Guy-Noël Passavant. On peut
supposer que ce dernier est, d’une certaine façon, un double du poète.
Pas tout à fait cependant car Alexandre Voisard précise dans un texte
d’introduction: Tel
quel, ce petit livre insolite devrait faire entendre deux voix
concertées et accordées aux mouvements les plus secrets de la vraie
vie, celle que Passavant avait choisie et que, en incorrigible
utopiste, je lui enviai longtemps… Il n’y avait donc pas identité
parfaite entre l’auteur et son double. On discerne en effet un écart,
celui qui sépare la vie réelle de la vie rêvée. Fidèle à lui-même,
le poète convoque la nature entière: la botanique n’a plus de secret
pour lui; les bêtes – les domestiques et les autres – répondent à son
appel, les oiseaux sont tour à tour nommés. Ainsi: Les
enfants ont bien vu / la cigogne tout en flèche / s’évanouir au loin
vers son destin / comme une fumée d’usine / qui n’a rien à perdre / les
mères retiennent leurs larmes / pour que les nourrissons restent sur
terre / eux qui n’ont rien encore à gagner / dans l’infini du ciel.
On est sensible à ce vol de l’oiseau, vers son destin, nous dit le
poète avec raison. Sera-t-il à nouveau parmi nous le printemps revenu?
C’est là la contribution du destin et du mystère. D’autre part, comment
rester insensible à l’infini du ciel?
Le lecteur s’interroge à propos du sens à donner au poème que voici: Ce
que l’hirondelle / porte en elle d’indicible / à l’instant de prendre
congé / n’est qu’un semblant de plainte / un bourdonnement d’étoffes /
que l’on tend que l’on plie / avant de refermer la malle en soupirant.
S’agit-il de la migration annuelle de l’oiseau ou bien de son départ
définitif vers un autre monde? Les deux interprétations sont
apparemment légitimes. Ce poème, comme beaucoup d’autres du recueil,
est fait d’une seule phrase, d’une seule respiration, le poète
pratiquant l’enjambement d’un vers l’autre. Jamais un signe de
ponctuation, à l’exception du point final et, par-ci par-là, un espace
entre deux mots marquant une pause un peu plus appuyée. Cette
particularité s’observe ci-dessus entre les expressions que l’on tend que l’on plie.
L’oiseau occupe une place si importante dans l’œuvre d’Alexandre
Voisard qu’il ne craint pas d’établir une relation entre le geai et le
travail du poète. On lit: Le
geai / dont le fabuliste parfois / imite le cri de vaurien / fouille
l’humus sous la neige / espérant percer des secrets / à la manière du
poète penché / sur des lettres émaillées de regrets / échappées d’une
valise obsolète. On le remarque, toujours chez notre écrivain le souci de fouiller, d’aller plus loin dans le déchiffrement du monde.
Ce livre ne serait pas signé Alexandre Voisard si ne s’y dissimulaient
ici et là de délicieuses pointes d’érotisme. Celles-ci se distinguent
par leur finesse et un air de ne pas y toucher: Je
veux t’aimer je veux t’aimer / je veux t’aimer encore / chantait la
guêpe à mon oreille / elle n’avait en fait / de guêpe que la taille /
et l’aiguillon peut-être / au-dessous de la chemise froissée / mais son
amour son amour suintait / à chaque page tournée / son amour son amour
virevoltant / tachait de confiture les livres indélébilement.
L’approche du poète est le contraire de celle du scientifique. La
démarche de ce dernier, en effet, est analytique et tend ensuite à la
synthèse. Le poète, lui, procède par intuitions, par illuminations.
C’est peut-être ce que suggèrent les quelques lignes que voici: Soudain
on cesse de réfléchir / on se dit que l’étourneau / a des choses à nous
apprendre / on suspend son souffle / pour entendre la sourde /
imprécation des merisiers / dont les fleurs s’égouttent.
La réflexion rationnelle s’efface ici au profit d’une intelligence plus instinctive.
Quelle signification faut-il donner aux quelques vers qui suivent? Ils interpellent le lecteur: Celui
qui se tient debout / quand tous ont chassé de leur cour la tempête /
ne siège pas d’autorité / dans l’encens des nuages apaisés / il partage
avec l’aigle / souci d’indépendance / et intransigeance du regard.
Il faut retenir ici, associées heureusement à l’aigle, et
l’indépendance et l’intransigeance du regard. C’est à la fois net et
sans défaut. Un supplément d’explication est-il nécessaire?
Alexandre Voisard est sensible à l’exemple de l’alouette, à sa présence
souveraine qui embrase le ciel d’été. Il l’évoque dans les termes que
voici: N’écoutez
pas muser / vos propres misères dans la bise / prenez exemple sur
l’alouette / tout l’hiver apprenant / à effacer son ardoise. Ce dernier vers laisse-t-il supposer qu’il faut savoir faire table rase? Nous retiendrons cette interprétation.
Une voix, une musique, le poète est toujours bien là, sans cesse
attentif aux rumeurs diverses de la nature et du monde, écoutons-le.
PH. WICHT, Actes de la Société jurasienne d’Émulation 2009
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