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Jusqu’ici auteur de nouvelles, Sylviane Chatelain publie son premier
roman, La Part d’ombre, aux Éditions Bernard Campiche. Titre et dessin
de couverture (de l’artiste Silvia Bächli) sont parfaitement
explicites, tant sur le thème que sur la tonalité de l’œuvre. Nora,
veuve, mère de deux filles adultes et d’un garçon mort dans un accident,
se sent «dépouillée de ce qu’elle a aimé».
Dans sa lutte contre le vertige de l’âme et de l’esprit qui la
saisissent lorsqu’elle se penche sur ses défaites et ses renoncements,
Nora frôle la folie. La voilà dans une clinique, à repasser le film de
sa vie. On la voit découvrir un jour le corps d’une jeune femme que
l’on soupçonne de s’être suicidée, puis s’intéresser au petit garçon de
cette femme. Sur ces événements se greffe la salvatrice redécouverte du
dessin, que Nora pratiqua passionnément dans sa jeunesse: sur le papier
surgit parfois «un monde plus vivant que l’autre».
Pour ses filles, Nora est devenue une mère bien difficile à comprendre.
Voilà pour le thème. Quant à la tonalité, elle reste comme dans les
nouvelles de Sylviane Chatelain, résolument sombre. La neige, décor
obsédant, la neige qui serait pour Nora la «parfaite étreinte», c’est
aussi la couleur blanche symbole de la mort, comme dans les romans
japonais.
L’ellipse, le croisement continuel des temps du récit, le glissement
imperceptible du réel à l’imaginaire exigent parfois une relecture;
mais cette difficulté passagère n’empêche pas que le lecteur entende
avec un serrement de cœur la voix angoissée, hypersensible et pudique
de Nora.
ROSE-MARIE PAGNARD, Coopération, 1988
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Des dessins de fou! pensent les enfants des peintures qu’esquisse et
peaufine inlassablement leur mère. Des dessins qui contiennent tous ses
silences et cette part d’ombre qui échappe à ses enfants.
Eux retrouvent en Nora la mère seulement, «une voix, des gestes, une
odeur trop longtemps confondus avec le plaisir des repas, la chaleur du
lit, le sommeil, la maison, comme elle un lieu où s’abriter pour
grandir».
Quelle femme est-elle? Qui était-elle avant la naissance des enfants?
Quelle adolescente, quelle amoureuse? Quels étaient ses désirs, quels
ont été ses fêlures, ses révoltes, ses renoncements? Elle peint, mais
personne n’a jamais prêté attention à ses grandes feuilles blanches, si
ce n’est les enfants pour y gribouiller, dès qu’ils ont pu tenir debout
sur leurs jambes.
Dans l’espace dilaté par le silence de sa maison encoconnée par la
neige qui tombe inlassablement, Nora dialogue avec une morte, rassemble
sa vie autour d’elle, se réconcilie avec ses sentiments, cherche un
sommeil libérateur. Ce chemin intime à travers angoisses, déceptions,
silences, bonheurs, désirs refoulés, le compte de cette mise à nu, nous
est conté par la Neuchâteloise Sylviane Chatelain dans son premier
roman La Part d’ombre, en demi-teinte et en accords mineurs, feutrés
par la neige qui tombe sur le village de Nora pendant les longs hivers
jurassiens.
Petit à petit, le puzzle de cette vie intérieure nous est révélé, par
touches énigmatiques, dont la cohérence s’ordonne peu à peu et implose.
Nora part dans la neige qui recouvre ses pas, sur les traces de cette
jeune femme morte d’avoir glissé ou de s’être jetée au bas de la
carrière, personne ne le saura jamais.
NICOLE MÉTRAL, 24 Heures, 1988
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Cette ombre est très blanche, blanche comme le néant, comme la solitude
et comme cette neige qui d’un bout à l’autre du livre accompagne Nora.
Il a fallu à la fin de sa vie qu’elle se remette en question, perdue
qu’elle était d’avoir occulté sa nature profonde pour ses devoirs
d’épouse et de mère.
Enfermée dans les méandres de la dépression, elle mélange rêve et
réalité. Ses longues conversations avec Maud, cette femme qu’elle a
découverte morte, peut-être suicidée, peut-être assassinée, dans la
forêt lui aideront à retrouver sa voie, contre l’envahissante intrusion
de ses filles. Elle se remet à dessiner «Ces dessins sont beaux, mais
ce sont des dessins de fous».
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
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