Vous pouvez nous commander directement cet ouvrage par courriel.
Avec cette cinquième livraison, Enjeux poursuit son travail de prospection, d’édition et de diffusion.
L’objectif est d’éditer dans les meilleurs délais des pièces nouvelles
que vous aurez le plaisir de voir dans les mois à venir ou qui ont été
créées récemment. Il se peut aussi que nous choisissions une ou deux
pièces dont nous ne doutons pas que les qualités potentielles les
conduiront très bientôt à la scène. Tous les auteurs sont membres de la
Société Suisse des Auteurs (SSA) initiatrice et partenaire de cette
collection.
Ce cinquième volume témoigne comme les précédents de la vitalité, de la
rigueur et de l’inventivité des auteurs de théâtre en Suisse Romande.
L’observateur attentif constatera qu’il y a de plus en plus
d’excellents auteurs femmes qui ne cessent de s’affirmer dans le paysage
théâtral d’ici et d’ailleurs, et c’est heureux.
Le choix n’est pas opéré à partir d’une thématique, mais force est de
constater que ce volume, presque par hasard, tourne autour de la
solitude, des solitudes dans un monde où plus que jamais la
communication s’est développée de manière extraordinaire. Il se
pourrait bien que le théâtre, encore et toujours, joue sa fonction de
phare pour les humains à la dérive.
PHILIPPE MORAND, directeur de la collection Théâtre en camPoche
KRISTINA DJORDJEVIC
Corps
Lauréate du Prix SSA 2008 à l’écriture théâtrale
Un lit en fer dans un espace vide et clos.
Un corps, immobile et muet, est assis sur ce lit.
Un deuxième, bavard, se tenant à côté, dessine des bouches et répare les machines à écrire.
Un troisième cherche la bouche du deuxième.
Un quatrième, ayant parcouru bien des corps, ne désire maintenant plus que le troisième.
Un lit en fer dans un espace vide et clos.
Sur lequel se succèdent, à tour de rôle, différents corps.
Immobiles et muets,
Kristina Djordjevic, d’origine
serbe, est née le 18 mars 1981 en Libye. Ayant passé une partie de son
enfance entre la Serbie et la Libye, elle arrive en 1991 en Suisse, où
elle poursuivra une grande partie de ses études. Elle obtient en 2005
une maîtrise en Sciences de la société à l’Université de Fribourg.
Après un court stage de journalisme peu convaincant et des cours de
théâtre à Neuchâtel, elle choisit de poursuivre sa formation de
comédienne. Elle part suivre des cours d’art dramatique à l’école Jean
Périmony à Paris. Insatisfaite de l’enseignement proposé, elle quitte
l’école. En 2006, elle joue dans La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, mis en scène par Matthieu Lhermitte.
Actuellement, elle vit à Paris, se consacre à l’écriture et continue sa formation théâtrale à travers des stages.
Corps, son premier texte publié, a obtenu le Prix SSA 2008 à l’écriture théâtrale.
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EUGÈNE
Rame
Lauréat du Prix SSA 2007 à l’écriture théâtrale
Aviron:
nom masculin Seul sport collectif où les coéquipiers tournent le dos à
l’objectif, accordant les pleins pouvoirs à un seul homme, le barreur.
Toute ressemblance avec une dictature n’est pas le fruit d’une
coïncidence.
Barreur: nom masculin Celui qui tient la barre, qui dirige la barque. Napoléon, Ceausescu et l’infirmière de Vol au-dessus d’un nid de coucous sont des barreurs.
Rameur: nom masculin Être humain acceptant de souffrir, de transpirer et même de respirer selon le rythme imposé par le barreur.
Rame:
nom féminin Longue pièce de bois aplatie à une extrémité, utilisée pour
propulser de petites embarcations ou… frapper violemment sur la tête
d’un coéquipier.
Eugène. En
gros, se consacre à l'écriture sous toutes ses formes (roman, nouvelle,
théâtre, chroniques, guide de voyage d'un pays imaginaire) depuis 10
ans.
A été chroniqueur pour L'Hebdo et la Radio Suisse Romande. Il tient une chronique dans le magazine d'architecture Tracés depuis quatre ans.
Création de Rame.
Le 9 septembre 2008. Au Théâtre Vidy-Lausanne. Mise en scène: Christian Denisart.
Scénographie et lumière: Gilbert Maire. Costumes: Cécile Collet. Musique : No Square.
Avec: Jean Cuénot, Lionel Frésard, Corinne Frimas, Florence Quartenoud, Pascal Schopfer.
Musique: Stefan Aeby, André Hahne, Yannick Oppliger, Guillaume Perret.
Coproduction: Les Voyages Extraordinaires, Théâtre Vidy-Lausanne, Théâtre de l’Oriental.
Christian Denisart et Eugène rament au Théâtre de Vidy
Pour leur première pièce à Vidy, l’écrivain Eugène et le metteur en
scène Christian Denisart ont investi… un local d’entraînement pour
l’aviron! Cinq comédiens évoluent sur un «tank à ramer». Coup d’œil
indiscret dans le bassin.
On
croit avoir acheté un billet pour le Théâtre de Vidy, et voilà qu’on se
retrouve à longer le lac encore un petit kilomètre vers l’ouest, avant
de découvrir une salle éphémère et singulière. Rame, écrit
par Eugène et mis en scène par Christian Denisart, a pour décor… le
local d’entraînement que se partagent les sociétés d’aviron de
Lausanne. Dans cette baraque en bois trônent un bassin et un «tank à
ramer». Dès mardi soir, cinq comédiens sueront sur l’engin d’exercice
durant une heure trente. Les spectateurs, disposés autour du plan
d’eau, suivront leurs efforts de près. Tout démarre légèrement,
lorsqu’un touriste se voit proposer de jouer le quatrième rameur d’une
équipe d’aviron, le temps d’une initiation. Ce qui débutait comme un
intermède agréable pour cet ingénieur en vacances tourne subrepticement
au cauchemar. Il se retrouve contraint de partager le destin des autres
rameurs, sous l’emprise d’un barreur aux intentions douteuses. Placé à
l’arrière, face aux autres, lui seul voit où se dirige l’embarcation
effilée. «C’est une pièce sur la manipulation, détaille Eugène.
L’aviron est le seul sport où les coéquipiers tournent le dos à
l’objectif. Ils font entièrement confiance au barreur. Mais que se
passe-t-il si celui-ci ment?» Le texte, qui a gagné en 2007 le Prix de
la Société suisse des auteurs, interroge avec ironie notre capacité à
vivre ensemble. L’auteur lausannois, qui a remporté cette année le Prix
des auditeurs de la Radio suisse romande pour L a Vallée de la
Jeunesse, y brocarde le monde du travail. Il se rit aussi des épreuves
qui jalonnent des émissions telles que Koh-Lanta.
Un projet né du lieu
Avant le texte, un lieu. «J’ai découvert l’endroit lors d’une fête, et
on m’a expliqué les entraînements, avec ces gens qui rament sur place.
Il m’est venu l’idée d’exploiter cette situation, et j’ai demandé à
Eugène d’écrire une pièce», note Christian Denisart. Les compères se
connaissent depuis l’âge de douze ans. Ils ont monté ensemble Le Voyage en Pamukalie.
Eugène a imaginé un pays qui n’existe pas. Son complice en a fait un
spectacle, sous une yourte. D’abord musicien, le metteur en scène a
monté plusieurs créations originales avec sa compagnie Les voyages
extraordinaires. Ainsi, dans Festen, certains spectateurs étaient invités à rejoindre les comédiens attablés.
Rame
est un huis clos où les personnages bougent le haut du corps, mais ne
se déplacent pas. Une gageure pour les comédiens… Autre difficulté, les
regards de certains ne se croisent jamais. Corinne Frimas, qui
interprète la rameuse de tête, confie apercevoir le barreur si elle se
penche, «sinon, je ne vois que des nuques». Il a fallu aussi, pour
Gilbert Maire, trouver des éclairages qui conviennent des trois côtés.
Et «transformer ce lieu en lui laissant sa caractéristique». Pour
alléger le propos, le groupe No Square, caché derrière une tenture, distille sa musique jazzy.
Les Lausannois Eugène et Christian Denisart intègrent pour la première
fois la programmation de Vidy. «Vingt ans que j’en rêvais, depuis que
je suis venu voir ma première pièce ici», jubile l’écrivain.
CAROLINE RIEDER, 24 Heures
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FABIENNE GUELPA
L’Intime du large
Propulsée
par l’écriture, une femme explore le labyrinthe. De la mémoire
sablonneuse surgissent, d’île en île, scènes d’ombre et de lumière,
chaotiques, paisibles, blessées, aimantes… Des bras de poupée enlacent
le malheur, la pauvreté tient ses archives, le paradis sous un drap
blanc, houle de femme, homme refuge… Les mots s’animent, transmutent en
hiéroglyphes d’or la vie qui s’est mise à l’envers.
Fabienne Guelpa, née
en 1951, suit plusieurs voies : beaux-arts, théâtre, écriture.
Comédienne, elle joue dans une quarantaine de pièces. Plasticienne,
elle dessine à l’encre de Chine et crée une installation de sables,
oeuvre en cours. Par l’écriture qui relie les pans de sa vie elle
poursuit son exploration de l’intime.
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JÉRÔME RICHER
Écorces
Lauréat du Prix SSA 2008 à l’écriture théâtrale
Suite
à des actions terroristes, deux sœurs s’opposent : l’une est impliquée
dans un mouvement de lutte clandestine, l’autre craint pour son emploi
et aspire au calme. Parallèlement, un soldat raconte une de ses
missions et explique sa décision: déserter et résister.
Jérôme Richer, né
en 1974. Il est diplômé en histoire du droit, des faits sociaux et des
institutions. Il a écrit un mémoire sur le théâtre pendant la
Révolution française à Lyon. Il commence le théâtre à l’Université de
Chambéry. Il effectue plusieurs stages de formation dans le jeu
d’acteur en particulier avec Gérard Desarthe mais aussi en danse Buto
avec Sumako Koseki. Il a écrit plusieurs pièces de théâtre dont La Ville et les ombres (création à la Bâtie, festival de Genève en septembre 2008), Écorces, Naissance de la violence (Une histoire d’amour) (Prix SSA 2006 à l’écriture théâtrale), Treize voix (représentée dans le cadre du projet L’Œil du cyclone au Théâtre Saint-Gervais Genève en octobre 2006), La Jeunesse dorée (lecture au théâtre Le Poche à Genève en mai 2005 et publication par Alna Editeur, Paris, en septembre 2005) et Le Sourire de l’aveugle (publication dans l’Avant-Scène Théâtre; N° 1’000).
Il a joué dans plusieurs pièces de théâtre en région Rhône-Alpes notamment Lorenzino avec le Centre Dramatique National de Savoie (direction André Engel).
Il a mis en scène quatre spectacles en région Rhône-Alpes dont Fool for Love de Sam Sheppard (joué aussi à Strasbourg et Toulouse).
Après plusieurs années de pause dans la pratique théâtrale, il fonde en janvier 2005 La Compagnie des Ombres pour laquelle il écrit et met en scène plusieurs spectacles: Persona Non Grata, spectacle de clown, dans plusieurs festivals de rue en Suisse et France, Pasolini Théâtre (d’après
des textes de Pier Paolo Pasolini) au Théâtre de l’Usine à Genève en
novembre 2005. Au cours de la saison 2006-2007, il met en scène son
texte Naissance de la violence à La Grange de Dorigny à Lausanne, au Théâtre de l’Usine à Genève et au CCN-Théâtre du Pommier à Neuchâtel puis Médée et autres récits de femmes de Dario Fo et Franca Rame au Théâtre Saint-Gervais à Genève. En octobre 2007, il met en scène Le Petit Nicolas et les copains (d’après un texte de Nicolas Sarkozy) au Théâtre de l’Usine à Genève.
Il collabore avec l’association romande Prélude et la metteuse en scène et comédienne Delphine Horst à Nulle part mais surtout hors du monde, créé
en mars 2008 au Théâtre Saint-Gervais Genève avant d’être repris au
Théâtre 2.21 à Lausanne puis au CCN-Théâtre du Pommier à Neuchâtel. Ce
projet a confronté des détenus en régime de semi-liberté à l’univers
théâtral à travers les textes de Jorn Riel.
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ANNE-FRÉDÉRIQUE ROCHAT
Apnée
Lauréate du Prix SSA 2006 à l’écriture théâtrale
L’eau,
la mère, l’inconscient, la transmission, la sècheresse psychique,
physique, le désir, la sexualité. La vérité qui remonte à la surface,
la vérité qui transpire derrière les mots. Apnée est
l’histoire d’un couple qui va être ébranlé par l’arrivée d’une jeune
fille qui réveille malgré elle des souffrances et des blessures
enfouies. Les personnages s’observent, s’identifient les uns aux
autres, ils cherchent et fuient les reflets dans cette piscine sans eau.
Anne-Frédérique Rochat.
Je suis née le 29 mars 1977 à Vevey (Suisse). J’ai obtenu un diplôme de
comédienne au Conservatoire de Lausanne en juin 2000, depuis je joue
régulièrement entre Genève et Lausanne. J’ai commencé à écrire des
pièces, il y a six ans. J’avais envie d’être plus active dans la
création théâtrale. Et j’ai découvert là, un plaisir immense à inventer
des situations, à jouer avec les mots, et à créer des univers.
Septembre 2005 et 2006: Prix à l’écriture théâtrale de la Société Suisse des auteurs pour Mortifère, puis pour Apnée.
Mai 2007 : Publication de Propre en ordre aux Éditions Zoé dans le recueil La Suisse côté cour et côté jardin.
Février 2008 : Prix des lectrices Femina pour la nouvelle « Le temps d’Anna ».
Septembre 2008 : Première de Apnée au Pulloff Théâtres à Lausanne. Simultanément Apnée est publiée dans Eujeux 5, dans la collection Théâtre en camPoche, chez Bernard Campiche Éditeur.
Décembre 2008 : Mise en espace dans le cadre des journées des auteurs de théâtre de Lyon de la pièce Les Éoliennnes, ainsi que la publication de celle-ci aux Éditions l’ACT MEM.
Création de Apnée.
Le 9 septembre 2008, au Pulloff Théâtres, à Lausanne
Par l’ACTC. Mise en scène: Nathalie Lannuzel. Scénographie: Nathalie Lannuzel
Assistant technique: Jean Jenny. Régie technique: Estelle Becker
Lumière: Jean-Pierre Potvliege. Musique originale: Patrice Peyriéras
Costumes: Dominique Chauvin. Maquillage: Katrine Zingg. Administration: Claudine Corbaz. Graphisme: Anne Crausaz
Avec :
Clothilde : Isabelle Bosson
Clovis : Michel Demierre
Didi : Séverine Bujard
Dada : Alfredo Gnasso
Dominique : Fanny Pélichet
Secret en eau chlorée au Pulloff
Le Pulloff commence sa saison avec une création toute romande: Apnée,
de l’auteure veveysanne Anne-Frédérique Rochat, mise en scène par
Nathalie Lannuzel.
Décor tout de blanc, lumières découpées, accords de piano inquiétants.
Apnée, première création de la saison au Pulloff, se présente dès ses
premiers instants comme un thriller psychologique grinçant. L’espace
vide, entouré de panneaux blancs, laisse soudain apparaître, derrière
un pan qui se relève, un vieux couple jouant à des jeux de société. Se
chahutant sans cesse, Dada et Didi vont scander d’un bout à l’autre le
récit de leurs commentaires ironiques: «Échec et mat», «faites vos
jeux, rien ne va plus»…
C’est dans cette atmosphère trouble qu’entre la jeune Dominique (Fanny
Pelichet), une aide à domicile, qui vient donner un coup de main aux
enfants des vieillards, le couple Clothilde (Isabelle Bosson) et Clovis
(Michel Demierre). Depuis vingt-deux ans, Clovis a perdu l’odorat. On
ignore pour quelle raison. Peut-être un choc psychologique?
Avançant par brèves séquences, l’intrigue révèle petit à petit ses
fantômes: la noyade dans la piscine des jumeaux du couple, âgés de
trois ans, la jalousie maladive de la mère, la folie d’un acte criminel…
Avec une belle sobriété, imbibée de surréalisme, Nathalie Lannuzel met
en scène la pièce de la Veveysanne Anne-Frédérique Rochat. Elle y
dresse une atmosphère trouble, tout en donnant la priorité au jeu des
comédiens. Le texte révèle, quant à lui, des éclats d’humour noir
totalement irrésistibles. Dommage cependant que le suspense n’ait été
préservé jusqu’au bout. Véritable atout de la pièce, la prestation
décalée des deux grands-parents (Séverine Bujard et Alfredo Gnasso),
cyniques à souhait, donne à l’ensemble le ton d’une folle tragédie
comique.
ANNE-SYLVIE SPRENGER, 24 Heures
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Eugène, la question de la forme idéale
Rencontre. À l’occasion de la parution de Rame,
une pièce comique sur les jeux de pouvoir, l’auteur d’origine roumaine
nous confie sa relation au théâtre et ses impressions sur la nouvelle
scène suisse romande.
Sa dernière pièce de théâtre fait honneur au nom de jeune fille de sa mère : Ionesco. Avec Rame,
Eugène imagine les dialogues tour à tour absurdes, drôles et effrayants
d’un vacancier embarqué de force par des rameurs, et leur chef, le
barreur, sur un aviron qui circule sur les mers depuis sept ans. En
création au Théâtre de Vidy au mois de septembre, cette pièce vient
d’être reprise à l’Oriental de Vevey. Elle a gagné le Prix de la SSA
2007 à l’écriture théâtrale et se trouve publiée dans le recueil Enjeux 5.
Auteur de romans et de nouvelles publiés aux Éditions de l’Aire et de
textes pour enfants édités à La Joie de lire, notamment La Vallée de la jeunesse où il raconte son enfance, Eugène s’intéresse depuis longtemps au théâtre.
Comment êtes-vous arrivé à l’écriture théâtrale ?
Eugène : Je suis toujours entré chez les éditeurs avec des pièces de théâtre. À La Joie de lire, ce fut avec Dorothy,
une pièce de théâtre traitée sous la forme d’un conte en dialogues. Aux
Éditions de l’Aire, un membre du comité de lecture a vu une de mes
pièces, Le Dé à une face, à la Grange de Dorigny et m’a demandé
si j’avais d’autres choses à lui montrer. Michel Moret a alors lu cinq
monologues de vieilles dames ainsi que des nouvelles et les a publiés
sous le titre Quinze mètres de gloire en 1995. J’ai chéri le
monologue pendant longtemps : faire parler quelqu’un avec sa folie
et sa logique interne me plaît beaucoup. Le théâtre a toujours été
proche de moi : j’ai fait mon mémoire de licence en lettres sur le
parallèle entre En attendant Godot de Beckett et les peintures de Giacometti.
J’aimais bien écrire depuis longtemps, mais je ne parvenais pas à finir
mes textes. Mes feuilles étaient des hérissons de flèches que j’étais
incapable de recopier au net. L’apparition de l’ordinateur m’a beaucoup
aidé ! À cette époque, j’ai aussi dû cesser mes cours
d’improvisation et mes occupations de danseur pour le groupe Sakaryn, à
cause de la réapparition de mon arthrite juvénile. Il m’a fallu trouver
d’autres activités. J’ai parlé de cette maladie pour la première fois
sans métaphore dans la nouvelle « Le post-scriptum de
Vercingétorix », du recueil L’Ouvre-boîte, en 1996.
Comment se sont déroulées les représentations de Rame au théâtre de Vidy ?
La
pièce était jouée dans le hangar à ramer des deux clubs d’aviron de
Lausanne. Beaucoup de sportifs ont vu la pièce, ce qui est rare. Des
rameurs se sont déplacés depuis Morges et Yverdon pour voir ce qu’on
disait de leur sport. J’étais stupéfait : ils ont trouvé la pièce
réaliste alors que je la pensais ubuesque. Ils ont estimé qu’il
s’agissait d’un vrai miroir, parce que eux aussi essaient de convaincre
les bons rameurs de rester une saison de plus.
Rame est-il une allégorie de la dictature ?
Oui,
mais c’est aussi une réflexion sur la vie en groupe ; ça pourrait
être la métaphore de la situation des employés d’une PME. D’ailleurs,
pour aider ses comédiens à analyser les attitudes des personnages, le
metteur en scène Christian Denisart comparait leurs situations à celle
d’une secrétaire qui drague son patron, ou d’un patron qui invente un
grand danger pour faire passer certaines mauvaises nouvelles. Ça marche
aussi lors de voyages à plusieurs : il y a toujours quelqu’un pour
penser qu’il sait mieux que les autres. » La métaphore de départ,
des gens qui rament depuis sept ans, n’est clairement pas plausible et
indique tout de suite que l’on se trouve dans une fable. Le point de
départ permet toutes sortes d’interprétations, et certaines scènes
évoquent les initiatives populaires aux phrases manipulatrices ou
imitent le discours de droite qui ne supporte pas le non-respect des
traditions par les étrangers. Il y a aussi un côté En attendant Godot,
avec le paquebot merveilleux au bord duquel l’équipage rêve de monter
mais qu’il ne rencontre jamais. Vu qu’il n’arrive rien d’horrible dans
cette pièce – toute violence est évacuée hors champ – et qu’on n’y voit
pas de tortures, on n’est pas dans le totalitarisme, mais bien dans
notre société où le pouvoir passe par la parole.
Est-ce que vous vous revendiquez du théâtre de l’absurde ?
Pour Rame,
oui, mais tous mes textes ne sont pas comme ça. Le vrai challenge de
celui-ci consistait à faire une pièce avec des personnages qui ne se
déplacent pas et ne peuvent que ramer ou parler. La situation de
départ, dans un hangar où des gens rament sans avancer, était absurde
en soi.
Comment avez-vous travaillé avec le metteur en scène Christian Denisart ?
Je
le connais depuis que j’ai douze ans, je faisais des chroniques sur La
Première avec lui. Il m’a appelé pour me dire qu’il avait trouvé un
tank à ramer et me demander si j’étais d’accord d’écrire une pièce à ce
sujet. Christian était mon lecteur privilégié, on a beaucoup travaillé
ensemble sur ce texte. Quant aux répétitions, j’y assistais mais sans
participer à la mise en scène.
Quelle est la spécificité de l’écriture théâtrale ?
Au
théâtre, le texte est juste une couche dans le mille-feuille sémantique
que représente une pièce. Cela relativise l’importance de l’écriture,
contrairement au roman et au conte. J’aime autant le théâtre que les
romans, mais je me pose toujours la question de la forme idéale pendant
longtemps.
Que pensez-vous de l’écriture théâtrale en Suisse romande ?
Elle
est foisonnante, entre Marielle Pinsard avec sa pièce sur les blondes
qui vacille entre happening et analyse du paraître, et Mathieu
Bertholet à l’écriture beaucoup plus baroque. L’écriture théâtrale
suisse romande n’est pas du tout bourgeoise, au contraire. Sandra
Gaudin et Christian Scheidt détournent les formes du théâtre bourgeois
avec leur spectacle déstructuré J’aime le théâtre mais je préfère la télévision.
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Anne-Frédérique Rochat publie une pièce terrible et drôle
Accueillante
et chaleureuse, Anne-Frédérique Rochat ne surprend pourtant pas
lorsqu’elle affirme que le théâtre lui a permis de sortir de la
timidité de sa jeunesse. Auteure d’Apnée, pièce publiée dans le recueil Enjeux 5
et mise en scène au Pulloff de Lausanne au mois de septembre, la jeune
comédienne raconte comment le théâtre a profondément marqué sa vie. Une
vie partagée avec un comédien dans un appartement lumineux de Lausanne.
À Vevey où elle est née en 1977, la petite fille de sept ans commence à
écrire. Mais « dans son monde », elle n’est pas très scolaire
et sa petite main se crispe sur sa plume. « Il faut dire que
j’avais besoin de lunettes, et qu’on s’en est rendu compte plus
tard », dit Anne-Frédérique Rochat en riant franchement. Elle voit
alors une psychomotricienne qui lui conseille de faire du théâtre.
Conseil suivi scrupuleusement puisque la petite fille suit des cours en
amateur jusqu’à son entrée au Conservatoire de Lausanne. Là,
Anne-Frédérique Rochat effectue un travail technique sur la prise de
conscience de sa voix et de son corps, prend de l’assurance, rencontre
des gens différents, « mais le plus beau, c’est le souvenir des
copains, on était une classe super, il n’y avait pas de compétition
saumâtre comme il y en a souvent ».
Sortie du conservatoire en juin 2000, la jeune fille joue environ dans deux pièces par an, dont Je vais te manger le cœur avec mes petites dents de Sandra Gaudin et Hélène Cattin à l’Arsenic de Lausanne et Matin et soir,
une adaptation de Jon Fosse par Guillaume Béguin au 2.21, à Lausanne
également. Elle garde des souvenirs très vifs d’une pièce jouée à la
Comédie de Genève, parce qu’elle empruntait alors le studio d’une amie,
situé sur le quai de l’Île et donnant directement sur le Rhône. Et
surtout parce que cette pièce était La Cerisaie de Tchekhov, un
auteur qui la passionne et l’illumine d’enthousiasme. Elle connaissait
et appréciait Molière et Marivaux, mais elle rêvait de jouer les
amoureuses de Tchekhov. Elle retrouve son sujet fétiche, l’intime, chez
des dramaturges comme Jean-Luc Lagarce et Sarah Kane et des romanciers
comme Siri Hustvedt. Anne-Frédérique Rochat s’est mise à écrire
elle-même il y a cinq ou six ans, lors d’une année creuse où ses
projets de comédienne n’aboutissaient pas. « Je ne voulais pas
passer ma vie à attendre et j’avais un désir de création, aussi. »
En 2007, la publication aux Éditions Zoé d’un de ses textes dans le
recueil La Suisse côté cour et côté jardin l’encourage vivement. En 2005, elle avait gagné le Prix de la Société suisse des auteurs à l’écriture théâtrale pour Mortifère, et Apnée
est mis en scène et publié cet automne. Cette pièce raconte comment une
jeune femme employée par un couple sans enfants fait exploser une folie
bien enfouie sous une couche de secrets. Anne-Frédérique rit une
fois de plus lorsqu’on lui demande si le thème de la folie lui tient à
cœur. « Oui ! La folie, la névrose des gens, c’est ce qui
m’intéresse. Au début, je parlais de névroses habituelles, mais plus
j’écris, plus ça devient grave. Les gens qui perdent pied me touchent
beaucoup. » Le personnage de Clothilde en fait partie. Ses actes
sont inexcusables, mais sa personnalité s’est construite à partir de
manques et de grosses blessures. « Je ne crois pas que les gens
naissent mauvais, et je ne sais pas ce que j’aurais fait à sa place. Et
je suis attachée à elle, comme à tous mes personnages, sinon je ne
pourrais pas écrire sur eux. »
Sa prochaine pièce – elle a écrit un des textes et elle assiste à la
mise en scène – parle de tout autre chose : l’amour. Le collectif
Iter, sur une idée de Louise Campanile et de Guillaume Béguin, met en
scène vingt comédiens qui devront séduire autant de spectateurs dans un
simulacre de « speed dating ». Le spectacle commence en
décembre à Sierre, et l’on est curieux de savoir ce que notre jeune
auteure dit de la séduction.
LAURENCE DE COULON, La Liberté
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Du comique au tragique
Les
pièces que réunit ce recueil n’ont pas grand-chose en commun, et des
lecteurs très différents devraient y trouver leur bonheur. Corps,
de Kristina Djordjevic, voit des êtres humains évoluer dans un espace
qui possède tous les traits d’un hôpital psychiatrique. Ils manifestent
leur désir inassouvi les uns pour les autres, leur manque de l’autre,
mais leurs âmes ne se rencontrent pas dans cette pièce solennelle. Avec
beaucoup plus de légèreté, Eugène illustre la dictature avec une métaphore de l’aviron. Mélancolique et précieux, L’Intime du Large, de Fabienne Guelpa, explore la mémoire. De façon plus tragique qu’Eugène, Jérôme Richer sonde les questions de la résistance et de la complaisance dans un régime criminel. Enfin Apnée, d’Anne-Frédérique Rochat, visite la folie avec une cruauté presque jubilatoire.
La Vie prostestante
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