JEAN-FRANÇOIS SONNAY

YVAN, LE BAZOOKA, LES DINGUES ET MOI.
CECI N’EST PAS UN ROMAN

2006. 370 pages. Prix: CHF 40.–
ISBN 2-88241-178-2, EAN 9782882411785

34e Prix de littérature des Alpes et du Jura, décerné par l’Association des Écrivains de Langues Française (ADELF), avec le concours du Ministère des Affaires étrangères


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Épopée panique et vraie compassion

Au poète algérien Kateb Yacine qui lui décrivait les malheurs de son peuple et lui demandait comment en témoigner, Bertolt Brecht répondit: bon sujet de comédie! Or nous y repensions en lisant Yvan, le bazooka, les dingues et moi, qui relève bel et bien de la comédie et n'en procède pas moins d'une révolte authentique et d'une vraie compassion, nourrie en outre d'observations percutantes. Celles-ci rappellent parfois les féroces satires d'un Alexandre Zinoviev, notamment dans la première partie où il est question de la privatisation démentielle de l'Empire d'Est en Ouest, où les pénitenciers et les asiles psychiatriques sont industriellement recyclés après la vente des mines et usines, ponts et poulaillers…

Savoureux personnage de Quichotte de nos temps mondialisés, le Parigot Yvan est mandaté par son ONG, Charité.2, pour une mission d'évaluation dans un trou perdu de République-Centrale, au lieudit Sebbah où de farouches montagnards, et autres dingues, résistent à l'instauration par la force du bonheur généralisé. Une frise de personnages superbement dessinés, dont un capitaine suisse à la montre réglée sur l'heure de Berne et un général Arkan en hélico capitonné Napoléon III, se convulsent au fil de cette épopée panique finissant si mal qu'on en rit d'autant plus…


Un monde à en crever de rire

Dans son nouveau roman, Jean-François Sonnay raconte, avec une verve débridée, les tribulations d’un Quichotte de l’humanitaire.

La cinquantaine fringante, Jean-François Sonnay est le moins «homme de lettres» de nos auteurs, notamment du fait de ses missions de délégué du CICR, qui lui ont fait vivre de près les tragédies de l'Afghanistan, de l'ex-Yougoslavie ou du Darfour. Cette expérience humaine imprégnait déjà Le prince perdu, mais elle devient la matière même d' Yvan, le bazooka, les dingues et moi , roman picaresque et souvent désopilant, dont le comique n'est en rien du cynisme, mais une sorte de défense face à l'absurde et l'horreur.


Pourquoi le choix de la veine comique?
– En gros et grossièrement dit: le comique permettra peut-être à ce livre de ne pas passer totalement inaperçu. La thématique me semble importante. J'ai la faiblesse d'y tenir. J'aimerais distraire et faire réfléchir sans être trop pédant. Avec une thématique pareille (misère, rentabilité, inhumanité, brutalité, altruisme) il m'a semblé qu'on pouvait facilement tomber dans le pathétique. Or nous sommes déjà abreuvés d'émotions et de bons sentiments, sur lesquels je ne crache pas, mais qui relèvent de la sphère privée. Dans les grand-messes sentimentales, les gens se font surtout plaisir à eux-mêmes. Le comique, la satire, le burlesque ont l'avantage de ne pas pardonner: ni à l'auteur quand il ne réussit pas à faire rire, ni au lecteur s'il se laisse embarquer. Ici pas de fausse compassion, pas d'hypocrisie, on rit ou on ne rit pas et, si l'on rit, on est forcément un peu cruel. Cela dit le rire est aussi spontané, ce qui lui donne quelque chose de très intime, de très humain. D'autre part, de manière générale, je trouve qu'on ne rit pas assez. Je lisais récemment l'interview d'une Brésilienne à qui l'on demandait pourquoi elle était si gaie dans sa favela sinistre, et qui répondait que le monde allait si mal que d'être triste n'allait sûrement pas l'améliorer…

– Comment vivez-vous la relation entre «réalité» et fiction?
– La vérité est la condition d'existence de la fiction, tout est fictif parce que tout est vrai, mais d'une vérité que je dirais distillée.

– Le tableau que vous brossez est désespérant à bien des égards, et pourtant vous allez bientôt repartir sur le terrain. Qu'est-ce qui vous en donne la force?
– Je ne suis pas plus désabusé sur la question humanitaire que je ne le suis sur la démocratie, la justice ou la liberté d'expression, mais je suis de plus en plus souvent en colère: pas contre l'humanitaire, mais contre le monde cupide et hypocrite qui se drape de compassion pour mieux dissimuler une totale indifférence. Je ne sais plus qui disait qu'il y a deux choses infinies chez les hommes (et donc incompréhensibles): la bêtise et la cruauté. Cela ne se raisonne pas. On ne peut qu'en rire. Ce qui ne dispense pas de les combattre. C'est d'ailleurs bien souvent une question de vie ou de mort. En vérité, s'il y a un mort dans un bombardement, je ne pense pas qu'il faille d'abord s'en prendre à l'ambulancier qui ne serait pas parvenu à conduire le blessé assez vite à l'hôpital, mais plutôt chercher les vrais fauteurs de troubles. D'ailleurs le livre commence par des pages où il est question d'économie et non d'humanitaire. Il me semble que, dans l'histoire d'Yvan, il y a beaucoup plus de pages sur le fric et le commerce que sur la pauvre et précaire action humanitaire. J'avais d'ailleurs pensé au titre L'horreur économique pour ce livre. Mais vous le savez sans doute: je suis spécialiste des titres «déjà pris» …Au poète algérien Kateb Yacine qui lui décrivait les malheurs de son peuple et lui demandait comment en témoigner, Bertolt Brecht répondit: bon sujet de comédie! Or nous y repensions en lisant Yvan, le bazooka, les dingues et moi, qui relève bel et bien de la comédie et n'en procède pas moins d'une révolte authentique et d'une vraie compassion, nourrie en outre d'observations percutantes. Celles-ci rappellent parfois les féroces satires d'un Alexandre Zinoviev, notamment dans la première partie où il est question de la privatisation démentielle de l'Empire d'Est en Ouest, où les pénitenciers et les asiles psychiatriques sont industriellement recyclés après la vente des mines et usines, ponts et poulaillers.

JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures


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Rire amer

Dans son nouveau livre, Yvan, le bazooka, les dingues et moi, Jean-François Sonnay choisit le rire pour distraire et faire réfléchir

Né en Suisse, Jean-François Sonnay vit actuellement à Paris et revient régulièrement à Mézières. Il partage son temps entre écriture, enseignement et activités dans le domaine humanitaire. Entre ses missions de délégué du CICR en Afghanistan, ex-Yougoslavie ou Darfour, il imagine des histoires, celles des autres. Il a fait le choix de raconter d’autres vies que la sienne. «Dans ce monde individualiste, je trouve normal de parler d’autre chose que de soi. Lorsque j’écris mes histoires, je n’ai nulle envie d’en être la matière principale. Je n’écris pas ce que je vis et ce que je vois, mais j’utilise la fiction pour exprimer une vérité», dit-il.
Pour parler tragédie, misère, fric et commerce, l’auteur trouve le ton juste. Il échappe aux clichés émotionnels et pathétiques. Il utilise le rire pour ne pas ennuyer. Ce qui ne le dispense pas de transmettre une révolte, une vive colère contre l’hypocrisie et la cupidité.
Jean-François Sonnay arrive à faire dans sa vie ce qu’il aime faire en littérature: prendre le point de vue d’autrui et voir les choses différemment, se sortir du cocon sécurisant. «L’expérience devient une sorte de fatalité. Dans le cadre de missions on répète, on recommence sans cesse et on trébuche souvent sur l’ignorance. On vit dans un monde sans savoir tous les liens qui nous unissent. La littérature est un moyen, on n’est pas seul, on appartient à la même planète.»
Jean-François Sonnay repart prochainement pour une nouvelle mission en Côte–d’Ivoire. Une façon de répondre aux détracteurs des causes humanitaires: «Les hommes ont le bon sens de trouver que tout va mal; on peut bien essayer que ça aille moins mal!»
Il nous laisse l’histoire d’un savoureux Yvan et ses questions percutantes. Quelle est la valeur du mot humanitaire exprimée en dollars? Comment supprimer avantageusement la psychiatrie? Un perroquet peut-il répondre au téléphone? À toutes ces questions et bien d’autres, Jean-François Sonnay apporte des réponses appropriées, claires et modernes. N’hésitez plus: Yvan, le bazooka, les dingues et moi ce n’est pas un roman, c’est une affaire.

DANY SCHAER, Journal de Moudon


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Ceci n’est pas un roman: voilà le lecteur averti au début d’Yvan, le bazooka, les dingues et moi, dernier opus du Vaudois Jean-François Sonnay. Il raconte le voyage d’Yvan B. au secours de malades mentaux âgés, d’un État fictif. Mais gare au complot. L’humour ne cache pas l’arbitraire kafkaïen qui guette Yvan. Celui-ci arpente un pays où «chaque citoyen [est] traité en acteur économique». Et si des gens «ne [maîtrisent] pas les outils de communication, on [liquide] leurs biens et ils [repartent] de zéro. Le cas échéant, les humanitaires [peuvent] être appelés au secours des moins doués.» Il n’a pas tort, Jean-François Sonnay: ce n’est pas du roman. Plutôt la chronique inventée d’une folie bien réelle, celle d’aujourd’hui.

MPO, Le Courrier


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Jean-François Sonnay décrit un univers abracadabrant qu’il connaît bien

Naïf humanitaire
Voilà Yvan, jongleur et prestidigitateur, mais aussi travailleur humanitaire, qui se lance au secours d’une colonie pénitentiaire aux allures très kafkaïennes, située dans une imaginaire «République-Centrale». Voilà un capitaine suisse, porté sur le schnaps, qui sera expulsé prématurément du récit, non sans avoir fait quelques considérations profondes sur les beautés de sa patrie: «La Suisse, vitrine de la volonté divine, perle des perles, merveille des merveilles, dont on aurait pu dire, si le monde avait été un gâteau, qu’elle en était la cerise.»
Voilà encore un médecin-chef aux fonctions de garde-chiourme parlant couramment le swahili, doublé d’un général au nom de criminel de guerre ex-yougoslave et doté d’un hélicoptère au confort moelleux. Agencez le tout et vous obtenez un conte humoristique, rocambolesque et sombre signé Jean-François Sonnay, qui sait de quoi il parle puisqu’il travaille notamment pour la Croix-Rouge internationale. Il narre les aventures d’une sorte de Candide du XXIe siècle qui s’en va, sous un fragile parapluie humanitaire, à la rencontre des crapuleries et autres atroces manigances dont s’avère hélas truffé le monde globalisé.
Comme son titre Yvan, le bazooka, les dingues et moi, le livre de Jean-François Sonnay – qu’on n’ose appeler «roman» étant donné son sous-titre préventif, Ceci n’est pas un roman – a d’ailleurs des allures de bric-à-brac littéraire. L’auteur ne semble en effet se satisfaire qu’après avoir testé toutes les possibilités graphiques, linguistiques et rhétoriques que lui offre chaque recoin de son récit: «On m’assure chez les correctrices de la Seine-Saint-Denis que tremoli, pourtant si joli, n’existe pas en franci», déplore-t-il ainsi au détour d’une page. Il accumule les bons mots et les formules sans la moindre hésitation et décape avec ardeur les pratiques humanitaires, économiques, politiques en usage sur la planète. Bref, il arpente en long, en large et en travers – avec une énergie stupéfiante qui n’oublie d’explorer ni les notes de bas de page ni l’italique des adresses à l’éditeur – l’univers abracadabrant qu’il dépeint.

ÉLÉONORE SULSER, Le Temps


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Et vogue la satire…

Collaborateur d’une ONG, Yvan se voit confier une drôle de mission. Il doit aller évaluer les besoins d’un ancien hôpital psychiatrique, loin, très loin, en République-Centrale, région de montagnes qui est «une des plus reculées, des plus secrètes, de l’ancien Empire d’Ouest en Est». Et voilà ce brave Parisien embarqué dans une aventure rocambolesque, de péripéties improbables en rencontres étranges.
Lui-même actif dans l’humanitaire, Jean-François Sonnay signe avec Yvan, le bazooka, les dingues et moi, un roman comico-satirique peu ordinaire. Qui égratigne aussi bien le milieu humanitaire que la privatisation échevelée dans les pays de l’Est. Le ton se révèle assez jubilatoire, malgré des personnages (l’officier de l’armée suisse, par exemple) un brin caricaturaux et une tendance à se disperser en multipliant les digressions. Reste cette manière savoureuse de ne pas se prendre au sérieux, trop rare dans la production de Suisse romande.

ÉRIC BULLIARD, La Gruyère


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Entretien avec Jean-François Sonnay

Jean-François Sonnay vient de publier chez Bernard Campiche Éditeur, un livre tout à fait singulier dans nos lettres: il met en scène de manière désopilante une mission humanitaire qui se rend en République-Centrale, aux confins de l’ancien Empire d’Ouest en Est. La mission a pour mandat d’enquêter sur la colonie aérée No 7 à Sebbah. A la suite de la publication, dans un magazine de Bombay, de photos terrifiantes, les défenseurs des droits de la personne sont alertés et cela justifie l’envoi d’une mission humanitaire.

– Vous partez d’une situation pas très éloignée de ce que vous pourriez avoir rencontré, puisque vous êtes souvent envoyé en mission humanitaire, et vous nous racontez l’histoire de Yvan, le bazooka, les dingues et moi sur le ton du roman picaresque tout en prévenant vos lecteurs – qui sont avant tout des lectrices – que «ceci n’est pas un roman». Vous pensez bien qu’avec un tel démarrage, la personne qui vous lit ne cesse de se poser des questions, se demande si ce que vous décrivez est exagéré ou peut-être en deçà de la réalité, surtout que plus on avance plus on a l’impression d’être dans une pièce burlesque digne d’Ubu.
Les liens complexes entre réel et imaginaire, et la confusion qui en découle, m’ont toujours séduit dans la forme romanesque. Cela permet de parler de la réalité tout en prenant quelques libertés, de synthétiser, de résumer, de focaliser l’attention du lecteur, ce qu’on ne peut pas faire honnêtement en suivant le cours «historique» des choses. Dire que ce texte n’est justement pas un roman est un clin d’œil, une sorte de déni, qui me semble important à une époque où le roman est trop souvent perçu comme un simple miroir de la vie de l’auteur. Je suis naturellement forcé de puiser dans mes expériences pour écrire, mais mes histoires ne sont pas le récit de mes expériences. Dans l’histoire d’Yvan, tout est fictif, c’est-à-dire «fabriqué» ou «reconstruit», personnages comme circonstances. Je ne me reconnais pleinement ni dans Yvan ni dans le narrateur qui dit «moi» et, au sens propre, je n’ai jamais vécu une histoire pareille. Cela dit, s’il y a une dimension comique, voire satirique, avec son lot d’incongruités et d’exagérations, c’est pourtant bien de réalité qu’il s’agit, d’une réalité peut-être trop horrible pour qu’on en parle «sérieusement». J’espère que ce décalage, ce manque de sérieux, fera davantage d’effet que le pathos ou les bons sentiments.

– Ce qui est très intéressant, c’est la façon dont vous traitez le sujet: il y a une distance entre Yvan, le héros de l’histoire, et le narrateur; cela vous permet de dire les choses avec une drôlerie décapante de sorte qu’on se prend à éclater de rire en lisant des situations insupportables. Face aux pesanteurs de la réalité, était-ce pour vous la seule option?
La seule à ma portée, en tout cas. De nos jours, les médias, les hommes politiques, les soi-disant faiseurs d’opinion, ont un peu trop tendance à mélanger les genres, à confondre émotion et information, raison et sentiment, publicité et analyse, sport et sagesse. Dans le même temps, ils sont d’un conformisme désespérant: pour évoquer un drame, ils n’ont que des mots dramatiques et, pour distraire ou faire envie, ils ne pensent qu’à du joli ou du rigolo. Je crois que les êtres humains ont une intelligence et une sensibilité capables de faire feu de tout bois et qu’ils méritent mieux que ça. D’autre part, je n’ai pas le sentiment que la parole des intellectuels, et singulièrement des écrivains, soit vraiment entendue de nos jours. Faire rire est une façon de surprendre et, je l’espère, de faire réfléchir. Je demeure convaincu que la réalité est souvent bien plus atroce que ce qu’on peut en dire. Le rire donne juste la mesure de l’abîme qui sépare les faits de la pensée.

– Une œuvre littéraire se profile par son écriture, et là vous nous surprenez constamment avec toutes sortes de jeux de mots, trouvailles, qui font qu’on déguste le livre comme une gourmandise tout en ayant l’impression que vous avez fait de même en l’écrivant. Et cela continue avec la géographie des lieux: il y a bien sûr l’ancien Empire d’Ouest en Est – qu’il faut traduire par l’ex-URSS; les «confins de l’Empire» correspondent certainement à ces républiques des régions ouralo-altaïques, nous sommes dans les montagnes à Sebbah. Jusque-là, nous pouvons nous repérer. Mais ensuite, vous utilisez toutes sortes d’appellations: les Émirats Unis de Haute-Broye, dans le Cher-et-Chang… Lieux imaginaires bien sûr mais pourquoi ce brouillage des repères? Existe-t-il vraiment une Haute-Broye ou est-ce une allusion aux appellations grotesques mises parfois en place par les Soviétiques?
Je n’ai pas voulu écrire un texte à clé, ou alors ce serait un texte à mille et une clés. Si je me suis en effet bien amusé en le composant, c’est parce que je l’ai truffé d’allusions à quantité de situations ou de personnes différentes et que j’ai mis en parallèle ou en résonance des choses ou des souvenirs qui n’avaient a priori rien de commun. Pour moi, les «confins de l’empire» rappellent davantage l’ancienne Autriche-Hongrie (rappelés à notre mémoire par les guerres de l’ex-Yougoslavie) que l’URSS, où je ne crois pas qu’on ait jamais employé ce terme. Mais chaque lecteur y mettra ce qui lui chaut. De même, il n’est pas besoin de faire des milliers de kilomètres pour aboutir dans un trou perdu et la Haute-Broye est une façon de brouiller les distances; c’est aussi un clin d’œil, puisqu’une journaliste avait un jour parlé de moi (dans un quotidien lausannois) comme d’un «écrivain de la Haute-Broye». Dont acte.

– Les choses se terminent mal pour Yvan, le héros de votre histoire: il ne meurt pas, il rentre même à Paris mais il est comme hébété de s’être laissé engluer dans une manipulation digne des meilleurs moments de l’URSS, où la culture du mensonge était une vertu cardinale puisque n’importe quoi pouvait passer pour la vérité. Pensez-vous que toutes ces monstruosités (je pense au général Arkan, militaire grossier, sanguinaire, qui s’est fait construire un château d’un raffinement exquis, digne de ceux de la Loire) naissent forcément dans des pays où des mots comme «valeurs républicaines» ou «respect du citoyen» sont absents des dictionnaires?
– Je crains hélas que les manipulations, les sordides calculs politiques ou économiques ne soient pas l’apanage des dictatures. Je trouve notre monde bien hypocrite et l’on n’a jamais détruit autant de concepts et de valeurs que depuis qu’on les emploie à tors et à travers pour vendre de la camelote ou des produits de luxe. Et, dans ce livre, l’économie «folle» joue un rôle bien plus grand que les discours politiques délirants ou les élucubrations juridiques. Il y a aujourd’hui plein de généraux Arkan (prononcer «arcane») et bon nombre d’entre eux ont de somptueuses résidences dans la démocratique Europe. Quant à l’usage pervers de l’image comme d’une espèce de tribunal ou de pilori, c’est une spécialité de nombreuses chaînes de télévision contemporaines. D’un certain point de vue, il est souvent plus facile de reconnaître les mensonges d’un tyran soi-disant démocrate que de déjouer la sournoiserie d’une publicité de voyages car, si tout le monde a tendance à se méfier des discours politiques, personne ne se demande, à la vue d’une plage de sable blanc, combien seront payés les domestiques qui nous mettent le paradis à 400 euros la semaine TTC.

Propos recueillis par JANINE MASSARD, sur le culturacti.ch


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Ceci n’est pas une critique

L’acquéreur du dernier livre de Jean-François Sonnay – auteur romand et délégué du CICR à ses heures – en aura pour son argent. Qu’il ne s’inquiète pas, le narrateur y veille. Soucieux de la bonne santé de ses lecteurs et lectrices, il prie tout d’abord «instamment ceux qui auraient eu la fausse bonne idée d’ouvrir ce livre en plein bouchon pour tuer le temps de le reposer immédiatement». Il indique également les numéros des pages inutiles à la bonne compréhension de cette histoire (qui «n’est pas un roman»), que le lecteur pressé pourra par conséquent sauter en toute bonne conscience. Mais surtout, le narrateur se charge de ne «rapporter que la substantifique moelle» des événements, afin «de ménager votre estomac tout en maximisant la rentabilité de votre investissement bibliophilique», car il est clair qu’«il n’y a de bon dans un livre que le profit qu’on en tire».
Mais outre ces arguments publicitaires vantant le rapport avantageux entre le volumineux ouvrage et son prix somme toute modeste, il y a dans ce livre une histoire. Et avant tout, un homme, Yvan B, «administrateur terrain dans une petite organisation non gouvernementale dénommée Charité.2, «charité» pour des raisons qui tombent sous le sens, «.» pour faire Internet et «2» parce qu’elle n’était pas la première du genre». Un humanitaire, donc, chargé d’une mission aux confins de la République-Centrale. Ce pays (anciennement Empire d’Ouest en Est), après une période de mutations et de réformes économiques monstres conduisant à la privatisation d’absolument tout – «cabines téléphoniques, ponts, ordinateurs, poulaillers, lignes à haute tension, abattoirs, plantations de choux, choux, barrages, rivières, oléoducs», sans oublier les prisons, devenues très rentables grâce au développement de l’«industrie pénitentiaire», et les hôpitaux psychiatriques, dont la privatisation a posé cependant plus de problèmes, que l’on a réglés en éradiquant purement et simplement la maladie mentale –, ce pays, donc, fort de cette «merveilleuse réussite économique», connaît quand même un souci: la colonie aérée n° 7 de Sebbah, peuplée de montagnards au caractère «brutal et quelque peu obstiné» ainsi que des résidents d’une institution psychiatrique et de quelques militaires, échappe à ce «grand mouvement de libération lucrative». On charge alors une «mission d’évaluation» de se rendre à Sebbah pour faire le point sur la situation et s’occuper de «l’aspect humanitaire de la chose».
Et c’est Yvan B qui s’y colle – Yvan, ce «frère humain», «l’impartialité faite homme», une sorte de Don Quichotte de l’humanitaire, «chevalier des temps modernes, champion du droit dans un monde injuste, victime innocente des mauvais génies qui toujours pervertissent les bonnes intentions», homme d’action, «ce tribunal suprême des humanitaires autant que des militaires, puisque les uns y retapent ce que les autres y ont abîmé». Pour cette mission, il est accompagné, notamment, du capitaine Sigg, caricature du militaire suisse très moyen, à la montre high-tech réglée sur l’heure de Berne, persuadé que «les héros de l’humanitaire» sont les «braves soldats qui défendent leur patrie contre des terroristes dans le froid et la tempête» et selon qui la Suisse ne serait pas moins que la «vitrine de la volonté divine, perle des perles, merveille des merveilles, dont on aurait pu dire, si le monde avait été un gâteau, qu’elle en était la cerise».
Après l’organisation de la mission et les péripéties d’un long voyage, durant lequel Yvan démontre que la fréquentation de l’Ecole de cirque lui aura été plus utile que celle de la Faculté de Droit, il arrive enfin à Sebbah. Là, on apprendra, entre beaucoup d’autres choses, que la valeur actuelle du mot «humanitaire» est de 25’000 dollars, et que l’«un des grands principes de l’action humanitaire consiste […] à ne pas forcer les bénéficiaires à bénéficier de quelque chose dont ils ne veulent pas bénéficier, en quoi elle se distingue nettement de la médecine».
Mais j’en ai déjà trop dit. Sachez seulement qu’en lisant ce texte vous rencontrerez une myriade de personnages plus dingues les uns que les autres (et je ne parle pas seulement des pensionnaires de l’hôpital psychiatrique de Sebbah), vous saurez pourquoi les fumeurs ont une meilleure espérance de survie en cas de situation extrême, vous verrez comment le pauvre narrateur des prouesses d’Yvan est sans cesse rappelé à l’ordre par son sévère éditeur, et vous rirez beaucoup. Quant à moi, je ne désire pas faire concurrence à ce narrateur, justement, en dévoilant toute l’histoire. Achetez son livre: il vous en sera reconnaissant. Et son éditeur aussi.

BRUNO PELLEGRINO, Le Passe-Muraille


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Yvan, le bazooka, les dingues et moi, de Jean-François Sonnay

Dans une «République Centrale» imaginaire mais qui ressemble étrangement à tant de ces pays où la dictature du capitalisme sauvage succède à d’autres dictatures, où s’écarter de la norme, c’est s’écarter de la vie, Yvan, humanitaire au grand cœur et séducteur impénitent, envoyé en mission par son ONG et par le gouvernement français, va vivre des aventures inédites et fatales.
Récit héroïco-comico-pathétique,  Yvan, le bazooka, les dingues et moi tient aussi de la satire tous azimuts et du vécu le plus brûlant. «Ceci n’est pas un roman», nous dit le sous-titre; sous-titre piège, bien sûr: l’auteur, qui a une grande expérience des missions humanitaires, a su ici la mettre au service du réel romanesque, dans une fiction littéraire où il semble lâcher la bride à son esprit d’invention.

J.-P. LONGRE, sur sitarmag.com


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Yvan, le bazooka, les dingues et moi

Charité.2 est une ONG qui œuvre tant bien que mal dans différents pays. «Ladite ONG se consacrait à divers programmes d’aide humanitaire dans des pays réputés pauvres ou mal organisés, avec un accent particulier mis sur les orphelinats et les enfants des rues, une catégorie sociale alors en pleine expansion. Fort bien vue des donateurs, l’enfance malheureuse a toujours constitué un secteur d’intervention charitable plutôt porteur, qui permet de lever des fonds sans trop de publicité et de passer aussi vite que possible à l’action.»
Yvan B y travaille comme administrateur terrain sous l’autorité financière de la veuve Lachaise, d’une pingrerie extrême. Aussi quand le Quai d’Orsay propose à Charité.2 une mission en «République Centrale (anciennement Empire d’Ouest en Est)», elle applaudit et accepte.
Yvan, lui, que tant d’aides, de facilités, de promesses et de financements inquiètent quelque peu, se méfie d’une telle précipitation. Mais rien n’y fait, le conseil exécutif de Charité.2 a donné son accord et c’est Yvan qui est chargé de partir. Tant bien que mal, il va essayer de se débrouiller avec le peu de moyens dont il dispose (les promesses sont loin). Avec un humour glacial, l’auteur le laisse aux prises avec des gens dont il ne connaît pas la langue, qui vont l’expédier dans un pays perdu où il sera censé, officiellement, prendre soin de quelques «dingues» abandonnés là depuis des années. Officieusement, la vérité est tout autre. Emprisonné, torturé, affamé, le malheureux sera soumis au pire des supplices: renier son œuvre dans des aveux extorqués par de fausses accusations et de fausses preuves, faute de quoi il ne sera jamais libéré.
Impossible combat d’un homme honnête, assez optimiste pour croire que la vérité et la bonne foi finissent par triompher, la fin est d’une cruauté grinçante et, contrairement à ce que prétend l’auteur, bien documentée.

JULIETTE DAVID, Suisse magazine


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