John
Florio est né en 1553 en Angleterre. Son père, Michelangelo Florio,
prédicateur, s’y est réfugié après avoir fui les prisons italiennes de
l’inquisition. La reine Marie réintroduisant le catholicisme dès son
avènement, les protestants sont persécutés et la famille Florio,
expulsée, se replie à Strasbourg et de là à Soglio, dans les Grisons où
Michelangelo sera pasteur.
Après ses études à Tübigen, John Florio, aidé par les relations de son
père, s’installe en Angleterre où il passera le reste de sa vie.
S’il est peu connu de nos jours, ce «traducteur, lexicographe,
pédagogue, homme de lettres» a pourtant été un précurseur aussi bien
dans le domaine des traductions (il fut le premier à traduire en
anglais Les Essais de Montaigne et le Décaméron
de Boccace) que dans celui du dictionnaire où pour la première fois, il
eut l’idée d’y inclure des termes de langage courant, spécifiques aux
métiers de l’époque.
Il imagina aussi, pour les leçons d’italien qu’il donnait aux enfants
de la noblesse (et quelquefois à leurs parents!), une méthode où la
conversation rendait l’apprentissage plus aisé.
En nous racontant la vie de cet homme exceptionnel, perpétuellement
hanté par le désir de publier les différentes éditions de son
dictionnaire, ses relations avec la noblesse anglaise, l’auteur nous
offre un panorama passionnant de la société du XVIe siècle anglais. Le
style est aisé, la lecture facile et jamais ennuyeuse. Un succès!
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
D’emblée le lecteur d’Un monde de mots
a l’impression de feuilleter l’ouvrage original de John Florio, italien
par son père, anglais par sa mère, quand il s’empare de l’objet livre
d’Anne Cuneo, espèce de mise en abyme du dictionnaire éponyme
anglais/italien du traducteur/lexicographe. La calligraphie ancienne,
le portrait à l’encre du héros, la reproduction de la couverture de ses
mémoires, tout ce goût de la mise en espace, du jeu de la mise en page,
de la poésie du graphisme semblent donner à voir et à toucher la
première édition imprimée de la Renaissance. Les titres des têtes des
principaux chapitres, sortes de sommaires, se présentent sous la
forme de phrases à la même structure syntaxique archaïsante,
(«Dans lequel des hommes courageux sauvent un moine “hérétique”
juste avant qu’il ne soit brûlé vif par l’Inquisition et l’emmènent en
Angleterre» ou «Dans lequel le petit John devient Giovanni, dit Gion,
et vit une enfance heureuse dans le village de Soglio, aux Grisons»)
résumant brièvement les événements à venir, survivance des titres
des chapitres d’écrivains du passé comme Voltaire, («Comment
Candide fut élevé dans un beau château et comment il fut chassé
d’icelui»), Cervantes («Où l’on raconte mille babioles
aussi impertinentes que nécessaires à la véritable intelligence
de cette grande histoire» ou plus proche de nous Gaston Leroux
(«Où apparaît pour la première fois Joseph Rouletabille»)
Après le bref récit de l’histoire que le père de John, un moine
torturé par l’Inquisition, aurait pu relater lui-même: «Voilà, à
n’en pas douter, comment cet extraordinaire conteur qu’était
Michelangelo, mon père, aurait couché sur le papier ses aventures de
moine évadé» succèdent les lettres manuscrites que le héros
écrit à son petit fils, puis sa biographie qui se transpose vite en
autobiographie, l’unique occurrence du pronom sujet «je» impliquant le
discours de Florio. Les multiples références chronologiques, spatiales,
historiques prouvent qu’il ne s’agit pas d’une fiction mais de la vie
réelle de John Florio. Les confidences relatives à sa personne, à sa
famille, à ses amis et à ses contemporains sont multiples. Le récit est
ancré dans l’Histoire et le réel. La démarche historique se confond
avec l’analyse introspective du narrateur, témoin de son siècle, et
avec son travail de recherche. À l’Histoire se mêlent l’anecdote,
la vie quotidienne de John Florio et ses difficultés. Il traverse
une série d’épreuves: sa mère meurt lorsqu’il a dix ans, puis sa fille
tant aimée, son épouse décèdent, la peste sévit, les hostilités inter
religieuses éclatent: «aux frontières de la Bourgogne, on se battait
entre réformés et catholiques», les papistes «mettent l’Europe à feu et
à sang au nom de la religion de Rome». Le moi intime de Florio, sa vie
familiale et sociale, sa philosophie de l’existence, se mêlent aux
nombreuses références à son travail. Alors que l’écriture était
considérée comme vaine au XVIe et au XVIIe siècle, que l’homme du livre
et de la plume était méprisé, Florio, humaniste complet,
érudit fin, cultivé, entretenant un rapport quasi charnel
avec les livres, amoureux des humanités et du langage, effectue
des compilations, recherche les mots savants et populaires («J’ai ainsi
amassé le vocabulaire des charpentiers et celui des gens de théâtre…»)
afin de rédiger un dictionnaire utile dans la vie quotidienne.
Conscient de la difficulté de la traduction qui n’est pas une simple
reproduction fidèle du texte original mais une interprétation, une
adaptation («Notre pensée sera toujours plus précisément exprimée dans
une langue qui nous est familière»), il entre dans toutes les
mentalités. Passeur, il permet au lecteur d’accéder à la voix de
l’auteur: «Il faut qu’on s’installe dans l’esprit de l’auteur, pour le
comprendre, et pour faire en sorte que le lecteur auquel on va rendre
intelligible sa voix originale saisisse l’esprit autant que la lettre
de son texte» (…) «par rapport à l’original, un texte traduit
n’est rien sinon ce que le dessin est à la nature, le portrait à
l’original, l’ombre à la substance». Il travaille par fiches, accroît
sa culture et son expérience en lisant de nombreux ouvrages anciens et
contemporains, assiste à des pièces de théâtre, échange avec des
artistes, des écrivains, des nobles, des roturiers, des bourgeois, des
marchands... Il rencontre Shakespeare, Montaigne, «Michel Eyquem», dont
il traduit Les Essais en
anglais, s’occupe des enfants de la reine d’Angleterre. Il
enseigne par le détour, conversant avec ses élèves en se
promenant: «il paraît que vous enseignez l’italien de telle sorte
qu’on l’apprend sans s’en apercevoir». Sa méthode d’apprentissage
repose sur «la disputatio», débat oral et rhétorique médiéval, mais
elle est aussi très nouvelle car l’aspect ludique l’emporte et surtout
il s’agit d’apprendre des langues vernaculaires comme le français et
l’italien.
John Florio retrouve et réunifie son identité mutilée dans la rédaction
de son lexique italo/anglais, dans ses traductions, soucieux d’être «un
pont (…) avec un pied sur chaque rive, un intermédiaire entre l’Italie
(ce que j’en savais, ce que j’en ai appris) et l’Angleterre, qui
est vite devenue ma vraie patrie».
Un monde de mots est un
ouvrage nourri d’une érudition édifiante. Le contexte de la recherche
et de l’édition de l’époque est expliqué avec précision, montrant le
rôle des mécènes, des commanditaires, des princes. Le délire religieux
qui emporte le XVIe siècle est dénoncé: «Les catholiques ont
décidé de massacrer les huguenots, et depuis deux jours ils tuent, ils
tuent sans arrêt. Cela a commencé à Paris le jour de la
Saint-Barthélémy…»). Et surtout John Florio, homme cultivé, aux
travaux novateurs, mais peu connu, discret, qui refuse de
devenir un homme de cour, est enfin estimé à sa juste valeur.
Du père caché sous le fumier, c'est-à-dire la pourriture, la
mort, « chargement qui ne donnerait à personne envie de
fouiller », pour échapper au bûcher, nait la vie : un
homme de génie, John Florio, et «deux “fruits” grandioses que
sont son dictionnaire et son Montaigne».
L’ouvrage d’Anne Cuneo est une mine d’or tellement inépuisable que nous
ne pouvons en donner que quelques éclats. Au lecteur d’en découvrir
l’indicible richesse.
ANNIE FOREST-ABOU MANSOUR, L’écritoire des muses.hautetfort.com
Un monde de mots
Présentation
John Florio est né en Angleterre d’un père italien et d’une mère
probablement anglaise; il a grandi dans les Grisons suisses, puis,
après des études à Tübingen, est retourné en Angleterre où cet Européen
polyglotte a été le professeur d’italien, et parfois de français
(langue qu’il parlait couramment), d’hommes et de femmes issus de
toutes les classes sociales – marchands, nobles, artistes, princes et
jusqu’à une reine; il se pourrait que Shakespeare ait été un de ses
élèves. Son dictionnaire italien-anglais et sa traduction des Essais de Montaigne en anglais sont de véritables monuments, à la fois linguistiques et culturels.
Un monde de mots (titre emprunté au dictionnaire italien-anglais de John Florio) clôt une sorte de trilogie.
Le premier volet, Le Trajet d’une rivière, retrace l’histoire de Francis Tregian, le collectionneur du célèbre Fitzwilliam Virginal Book; le deuxième, Objets de splendeur. Monsieur Shakespeare amoureux, permet de connaître la première femme écrivain publiée en Angleterre.
La trilogie se conclut sur Un monde de mots,
qui raconte la vie et les aventures de John Florio, un des hommes qui
ont, de façon ouverte ou souterraine, façonné la culture européenne.
Extrait
La nuit était très noire. Dans le haut mur de la sombre bâtisse, une
petite porte, la seule de l’enceinte, s’était ouverte avec un bruit
sourd. En scrutant la pénombre, on aurait pu deviner deux hommes. Ils
tiraient un tombereau d’où s’exhalait une puanteur pestilentielle.
Ils étaient sortis précautionneusement, en veillant à ne rien heurter,
et la nuit les avait absorbés. À cause du mur du couvent, et du tumulus
inhabité qui lui faisait face, aucun lumignon n’éclairait leur départ.
Ils marchaient avec une hâte qu’un observateur aurait, de jour, pu
trouver suspecte. Mais personne ne les voyait. Ils avaient pris soin de
choisir une nuit de nouvelle lune. On entendait à peine le craquètement
des roues sur le gravier de la ruelle. Ils étaient finalement arrivés à
une sorte de terrain vague, où un œil perspicace aurait sans doute
distingué les ruines dans le noir – l’ancien Forum, désert à cette
heure là. Ils s’étaient arrêtés, et avaient attendu. Pas un mot n’avait
été échangé.
«Ogni terra ha guerra – tout pays a sa guerre», avait fini par murmurer
une voix qui les avait fait sursauter. Elle semblait suspendue dans la
nuit - les contours du parleur étaient invisibles; pas d’étoile, pas la
moindre lueur, le ciel était couvert.
«Ogni corpo ha la sua ombra – tout corps a son ombre», avait répliqué une voix peu assurée. C’étaient les formules convenues.
«Le Seigneur soit avec nous», avait conclu la voix anonyme. «C’est toi, Lorenzo?»
«Moi-même. Que Sa volonté soit faite.»
Le premier obstacle était franchi, ils s’étaient retrouvés. Par une telle nuit, cela tenait du miracle.
«Qu’est-ce que c’est que cette odeur?» avait repris le nouveau venu.
«Vous m’avez amené les excréments de ces beaux messieurs, ma parole.
Il n’y a qu’eux pour puer pareillement.»
«On a choisi un chargement qui ne donnerait à personne envie de fouiller», lui avait-on répliqué avec un gloussement sardonique.
«Vous avez le paquet?»
«Oui. Il est sous les excréments, mais en mauvais état. Et il faut que
vous nous emmeniez, nous aussi, parce que nous risquerions qu’on nous
torture pour nous faire parler.»
Un silence.
«Ce n’était pas prévu», avait fini par dire le dernier venu. «Mais j’aurais dû y penser. Vous avez de la famille?»
«Pas à Rome, les miens sont dans le Nord», avait dit l’un.
«Je n’ai personne», avait répondu l’autre, «je suis enfant trouvé.»
«Alors, pas de risque qu’on les arrête à votre place. Allons-y.»
Les deux moines avaient cherché du pied, à tâtons, une surface
herbeuse, l’avaient trouvée, y avaient déversé leur tombereau. Sous les
détritus, un ballot oblong. Ils avaient déroulé la toile qui
l’enveloppait. S’il n’avait pas fait si sombre, on aurait pu voir un
homme inerte, à moitié nu. Le plus costaud des deux moines l’avait
chargé en travers de ses épaules, comme un paquet.
«Faisons vite, maintenant», avait-il dit d’une voix sourde. «Je ne
suis même pas sûr que tout cela ait valu la peine, il est plus mort que
vif, votre héros.»
L’auteur
Anne Cuneo est née à Paris de parents italiens, suissesse par mariage.
Licenciée ès lettres et ès sciences pédagogiques de l’Université de
Lausanne, puis formation de Conseil en publicité et de journaliste.
Écrivain de livres «littéraires» et «documentaires». Écrit et met en
scène pour la radio, la télévision et le théâtre. Depuis 1981 travaille
aussi dans les métiers du cinéma, comme assistante, scénariste, puis
comme journaliste et réalisatrice, soit de façon indépendante, soit à
la Télévision suisse.
Après une première phase autobiographique, Anne Cuneo découvre, à
travers l’expérience théâtrale et cinématographique, les potentialités
d’une forme de roman inspirée de la réalité mais susceptible de prendre
des libertés avec elle pour en mettre en valeur certains aspects.
Utilisée pour la première fois avec Station Victoria, elle a permis l’écriture d’œuvres basées sur des personnages réels. Dans Le Trajet d’une rivière, c’est la redécouverte d’un personnage oublié, et capital, de l’histoire de la musique. Dans Objets de splendeur, il s’agit d’un regard différent sur la vie amoureuse du jeune Shakespeare. Le Maître de Garamond
raconte l’histoire d’Antoine Augereau, imprimeur à qui l’on doit
maintes caractéristiques de l’orthographe moderne, et de ses rapports
avec le plus célèbre de ses apprentis, Claude Garamond. Zaïda est l’itinéraire d’une femme née en 1860, qui, l’année de ses cent ans, entreprend le récit de sa vie.
Anne Cuneo est également l’auteur d’une série de romans policiers
(qu’elle qualifie plutôt de «romans sociaux») solidement enracinés dans
la réalité sociale contemporaine. Et enfın, Un monde de mots
raconte l’histoire de John Florio, auteur du premier dictionnaire
italien-anglais de l’histoire et traducteur de Montaigne en anglais.
Anne Cuneo collabore au Téléjournal à Genève et à Zurich, où elle
demeure conjointement aujourd’hui. Ses ouvrages, constamment réédités
et traduits en allemand, sont tous de grands succès de librairie en
Suisse.
En juillet 2010, Anne Cuneo a été nommée par Frédéric Mitterand,
ministre de la Culture de l’État français, Chevalier des Arts et des
Lettres.
La saga de John Florio
On ne présente pas Anne Cuneo, ni son Trajet d’une rivière,
paru voici quelques années. Il s’agissait de la vie de Francis Tregian
qui avait contribué à préserver de grandes œuvres musicales de son
temps. L’ouvrage avait marqué la scène littéraire romande. Rappelons
que la journaliste de télévision et écrivaine a consacré trois livres à
la période élisabéthaine. Le Trajet d’une rivière, bien sûr, mais aussi Objets de splendeur,
qui narrait les amours de William Shakespeare et de sa Dark Lady. C’est
en écrivant cet ouvrage qu’Anne Cuneo réalise le rôle central que John
Florio a tenu pendant les quarante ans où la Renaissance anglaise était
à son apogée.
Le héros d’Un monde de mots se
nomme John Florio. Comme elle, il est italien d’origine. L’homme a été
élevé en Suisse, avant de s’installer en Angleterre. Ce professeur
d’italien fréquentera les grands de ce monde, tour à tour séduits par
sa culture, son intelligence et sa passion des langues. Non seulement
il rédige des proverbes et des dialogues pédagogiques en italien, mais
il est aussi le premier à élaborer un dictionnaire italien-anglais.
Traducteur, Florio est également le premier à avoir exercé son art avec
Les Essais de Montaigne ainsi que Le Décaméron de Boccace. Peut-être même avait-il contribué à la publication de la première édition des pièces de Shakespeare.
C’est sa fascinante trajectoire que déroule l’écrivaine genevoise. Avec
le talent qu’on lui connaît. Celui de propulser son lecteur dès les
premières pages. Où le père de Florio, pasteur d’origine juive
reconverti, fuit l’Inquisition aidé de deux complices, pérégrine dans
la botte avant de se rendre en Albion. Fort bien documenté sur le plan
historique, le récit s’enrichit de l’imagination de l’auteure là où les
sources manquent. De quoi ajouter un supplément de poésie et de
suspense s’il était besoin puisque John Florio s’affirme déjà comme un
être exceptionnel et singulièrement méconnu dans une Angleterre qui lui
devra tant.
SERGE BIMPAGE, La Vie protestante
Aux immortels
Exceptionnels dans leurs destins, certains hommes ne disparaissent
jamais vraiment. S’ils s’estompent dans les mémoires, ils laissent
toujours une trace infime mais palpable dans le monde des vivants;
comme endormis pour un temps, ils semblent attendre que l’on s’accroche
à leur souvenir. La plupart d’entre nous les ignore et rares sont ceux
qui comme Anne Cuneo les réinventent, se perdent patiemment dans le
manège des mots pour leur redonner vie, avec goût et liberté.
Ainsi John Florio fait-il partie de ces défunts chanceux, devenus
immortels à force de passion. Homme de lettres européen, il est de ceux
qui ont su profiter au mieux des possibilités de leur temps. Enfant de
la Renaissance et de la Réforme, linguiste avant l’heure, il connaît
ses instants de gloire dans l’Angleterre élisabéthaine grâce à son
dictionnaire et à sa traduction des Essais
de Montaigne. Mais loin de s’arrêter à l’image florissante d’un être
accompli, le récit d’Anne Cuneo sait combler les manques de l’histoire.
Sous forme de mémoires imaginaires, le texte tresse les fils d’une
existence riche mais éclatée. Aussi le quotidien rythmé du petit «Gion»
laisse-t-il place à une vie d’adulte plus paisible, que rehausse en
couleurs une multitude de détails; l’illusion de l’autobiographie naît
lentement de la précision efficace des mots. Entre faits avérés et
choix d’écriture, on assiste au déploiement patient du récit, qui finit
par épouser parfaitement la voix de John Florio.
LIVIA LÜTHI, Les Lettres et les Arts
Histoire de lettres
Anne Cuneo, journaliste de formation, n’a pas son pareil pour faire
revivre des personnages historiques. On se souvient du succès
international du Trajet d’une rivière.
Ici, John Florio, qui a grandi dans les Grisons pour devenir professeur
d’italien puis de français en Angleterre. Une trajectoire d’homme de
lettres exceptionnelle, dont il se pourrait que Shakespeare fut son
élève.
SERGE BIMPAGE, La Vie protestante
Le jardinier de la Renaissance anglaise
Dans une Angleterre qui, dans la seconde moitié du XVIe siècle,
s’éveille aux lumières de la Renaissance, un émigré tombe à pic: John
Florio, de père italien et de mère anglaise, fera profiter le pays, et
même la langue anglaise, de la richesse culturelle et linguistique de
la Péninsule
Dans
une Angleterre qui, dans la seconde moitié du XVIe siècle, s’éveille
aux lumières de la Renaissance, un émigré tombe à pic. Érudit,
passionné de langues, précepteur de nombreux aristocrates, John
Florio a irrigué de la plus fine italianité la culture élisabéthaine.
Ce roturier méconnu, qui évoluera toute sa vie à l’ombre des puissants
comme des artistes, renaît de ses cendres grâce à un important travail
de recherche qu’Anne Cuneo a effectué sur cette personnalité hors du
commun, entr’aperçue dans deux autres de ses «romans élisabéthains»: Le Trajet d’une rivière (1993) et Objets de splendeur
(1996), tous deux édités chez Bernard Campiche. La romancière a été
séduite par les affinités qu’elle partageait avec John Florio: des
origines italiennes, une enfance passée en Suisse, une activité de
traducteur. Et surtout, un art du métissage: «Il s’est intégré dans
l’Angleterre de son époque sans jamais gommer sa différence»,
note-t-elle dans sa postface. Anne Cuneo rend donc hommage à sa vie et
à ses œuvres par le biais de mémoires fictives: aussi John Florio
raconte-t-il sa vie à la première personne.
Un choix assumé qui rend la lecture attrayante – sans compter une
écriture sobre et l’absence de fastidieuses descriptions – et offre des
fenêtres de liberté à l’écrivain. Elle n’hésite pas de fait à donner
son point de vue sur certaines énigmes de l’époque: Anne Cuneo
refuse par exemple tout net l’idée que John Florio puisse avoir été
l’auteur des pièces de Shakespeare, comme une minorité d’érudits le
prétend dans le cadre d’une inépuisable controverse. En revanche, elle
n’exclut de loin pas une amitié sincère entre le lexicographe et le
dramaturge.
Mais commençons par le début. John – ou Giovanni – Florio naît d’une
mère anglaise, suivante de Lady Grey (qui sera décapitée), et d’un
prêtre italien, Michelangelo, converti à la Réforme et persécuté par
l’Inquisition à Rome. Il passe une jeunesse pauvre et idyllique dans le
val Bregaglia (Grisons, rallié au camp réformé, où son père est
instituteur. À l’âge de l’instruction, grâce à l’important réseau paternel auprès
des tenants de la foi nouvelle, il part étudier à Tübingen puis à
Stuttgart, avant de faire route pour Oxford puis Londres, où il
découvre avec joie l’effervescence culturelle… et la possibilité de
vivre de ses passions.
Rompu aux langues vivantes, il enseigne l’italien, langue très à la
mode, aux enfants de la noblesse, dont le comte de Southampton, à qui
Shakespeare adressera ses Sonnets.
Puis viennent son fameux dictionnaire, nommé A World of Words (Un monde
de mots), la traduction des Essais de Montaigne et du Décaméron de
Boccace. Passeur culturel réputé, Florio s’éteint toutefois désargenté
à Fulham près de Londres.
Bien rythmé pendant les cent premières pages consacrées à l’enfance, le
récit a tendance à s’effiler ensuite, sous l’effet de l’évolution moins
spectaculaire, plus éclatée et simplement plus studieuse de la vie
adulte de Florio.
Difficile, dans l’abondance des détails de la vie quotidienne, de ne
pas perdre de vue l’essentiel: l’histoire d’un homme ayant hérité du
meilleur de la Réforme et de la Renaissance et qui a contribué à
l’excellence des lettres élisabéthaines, voire même à l’évolution de la
langue anglaise. On doit à Anne Cuneo cette nécessaire réhabilitation
d’un grand lettré européen.
EMMANUEL GEHRIG, Le Temps
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Anne Cuneo a consacré trois livres à la période élisabéthaine. Après Le Trajet d’une rivière, Objets de splendeur, elle vient de publier chez Campiche, Un monde de mots
Dans le premier volume de cette trilogie, elle faisait le récit de la
vie de Francis Tregian, qui, entre autres, a contribué à préserver de
grandes œuvres musicales de son époque.
Dans le deuxième, elle racontait les amours de William Shakespeare et de
sa Dark Lady, pour laquelle il a écrit des sonnets et que l’auteur
identifiait avec grande vraisemblance à la personne d’Emilia Bassano.
Dans ce troisième, elle fait parler John Florio qui était vu par
d’autres dans les deux premiers volumes et par les yeux desquels cette
fois-ci nous voyons l’époque, à travers la vie quotidienne de nombreux
amoureux de la littérature qui leur est contemporaine:
«Dans les autres livres, Florio est vu, ici il voit», m’a répété Anne
Cuneo, quand je lui ai dit, lors du Livre sur les quais de Morges, que
j’étais en train de lire Objets de splendeur et que je ne me souvenais pas bien du Trajet d’une rivière, lu dix ans auparavant.
Les deux premiers livres n’étaient pas davantage des romans qu’Un monde de mots,
dont le titre est emprunté à celui du grand œuvre de Florio, son
dictionnaire. Il ne s’agissait pas non plus de livres d’histoire à
proprement parler.
Car, si Anne Cuneo a rassemblé énormément de documents sur l’époque et
si elle reconstitue la vie de ses personnages à partir de leurs seuls
dires et faits, elle ne prétend pas écrire pour autant des traités
scientifiques, mais des récits, qui sont d’ailleurs bien plus que de
simples récits:
«Tous les faits avérés sont présents. Et là où les faits manquent je
remplis les vides à ma convenance, en étant aussi logique que
possible», dit-elle dans sa postface.
John Florio est un personnage hors du commun, méconnu. Anne Cuneo s’y
est intéressée parce qu’il était italien d’origine, qu’il avait été
élevé en Suisse, puis s’était établi en Angleterre tout en restant
lui-même, tout comme elle. Il est fréquent que nous soyons attirés
ainsi par ceux dont le destin ressemble quelque peu au nôtre.
John Florio sera le professeur d’italien de jeunes filles et de jeunes
hommes riches, le précepteur d’enfants de la haute société et même de
deux enfants royaux. Il côtoiera très vite des grands du monde de son
époque, des écrivains, des poètes, des dramaturges, des philosophes,
des géographes, des médecins, qui, en dépit de son caractère peu
facile, seront séduits par son intelligence, sa grande culture, sa
mémoire et surtout par son amour des mots.
Giovanni Florio, car tel est son nom d’origine, écrira en italien des dialogues, des proverbes à des fins pédagogiques, les Premiers fruits et les Seconds fruits – pour apprendre une langue des discours valent toutes les grammaires.
Il sera le premier à établir un dictionnaire italien-anglais, la
deuxième édition, intitulée le Nouveau monde de mots de la reine Anna,
comportant 75’000 entrées.
Florio sera un grand traducteur, faisant véritablement œuvre, sans
trahir la pensée traduite. Il sera ainsi le premier à traduire en
anglais Les Essais de Montaigne et Le Décaméron
de Boccace. Il se peut même bien qu’il ait participé à la première
édition des pièces de Shakespeare, qu’il avait bien connu et à qui il
avait donné beaucoup d’éléments qui devaient lui servir dans ses pièces
italiennes.
Pour les amateurs du XVIe siècle, anglais particulièrement, ce nouveau
livre d’Anne Cuneo est un morceau de bravoure et d’érudition. Au
contraire de certains écrits académiques, il se lit avec un authentique
plaisir tout en apprenant beaucoup de choses fort intéressantes. Sans
doute parce qu’il n’est pas écrit dans ce jargon insupportable et
incompréhensible, sous l’épaisseur duquel le savoir devient
inaccessible, rébarbatif, et, pour tout dire, douteux.
FRANCIS RICHARD, Blog
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Anne Cuneo revivifie l’Europe des cultures
Dans Un monde de mots, la romancière conte la saga du lettré John Florio
On apprend des tas de choses intéressantes à la lecture du nouveau
roman d’Anne Cuneo, et par exemple que l’adorable village grison de
Soglio, seuil symbolique entre Nord et Sud, au bord du ciel et ceinturé
de «roches dures» en son promontoire du val Bregaglia, fut le paradis
d’enfance d’un extraordinaire personnage. Avant Rilke fuyant la Grande
Guerre, avant Pierre Jean Jouve qui y situa La Scène capitale, avant Daniel Schmid qui y tourna Violanta,
ce village de bois aux extravagants palais Renaissance, propriétés de
la famille de Salis, fut en effet, au début du XVIe siècle, le refuge
d’un «hérétique» italien menacé du bûcher par la Sainte Inquisition
catholique.
L’homme, du nom de Michelangelo Florio, formidable discutailleur ès
théologies et non moins remarquable pédagogue, parvint en 1550 à fuir
son ergastule romain après moult tortures endurées. Il se réfugia en
Angleterre, où il trouva protection et femme de qualité, enseigna
l’italien à une future (bonne) reine hélas défuntée peu après, puis fut
contraint de s’exiler par une autre (mauvaise) reine en ce lieu perdu
de Soglio, récemment acquis à la Réforme. Ainsi Michelangelo,
débarquant en ce bout du monde avec ses trois fils et son épouse,
Margaret, devint-il pour quelques années le pasteur du village.
John et le paradis perdu
S’il ne vécut que neuf ans à Soglio, jusqu’à sa dixième année, le fils
de Michelangelo, né à Londres en 1553 et prénommé John, conserva de ces
hautes terres un souvenir de paradis voué tant à l’étude qu’aux jeux,
au milieu d’une nature sublime. «J’avais compris à cinq ans que la
chose écrite est le bien le plus précieux de l’homme», écrira-t-il plus
tard dans les Mémoires que
nous découvrons ici par le truchement d’une romancière dont le
parcours personnel recoupe, à divers égards, celui de son personnage.
Il n’est que de rappeler l’origine italienne d’Anne Cuneo, le rôle du
savoir et de l’écriture dans un transit existentiel souvent difficile,
son aptitude impressionnante à passer d’une langue à l’autre et de
survivre en touchant à la fois au journalisme et à la traduction, au
théâtre et au roman.
Or ce côté «polygraphe» se retrouve, aux dimensions européennes, chez le protagoniste d'Un monde de mots,
ce John Florio, qui se dit plus artisan qu’artiste, «pauvre hère qui se
bat avec des mots» et qui va côtoyer, éditer ou traduire quelques
génies, tels Shakespeare et Montaigne, tout en produisant une œuvre
d’homme-livre fondateur en matière de lexicographie, son premier
dictionnaire s’intitulant d’ailleurs A World of Words, Un monde de mots…
Après Le Trajet d’une rivière et Objets de splendeur,
ce nouveau roman d’Anne Cuneo, qui s’ouvre sur la scène picaresque de
la fuite de Michelangelo traqué par l’Inquisition, complète une
trilogie magnifiquement documentée, où le savoir sûr, ou probable,
passe avant l’invention créatrice. Dans une langue claire et sans
apprêts, accessible à tous, et avec maints détails savoureux qui
rappellent parfois Ma vie de
Thomas Platter, grand humaniste suisse et conteur délicieux, Anne Cuneo
contribue à la défense et à l’illustration de l’Europe des cultures
tout en divertissant le lecteur au meilleur sens du terme.
JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures
Un monde de mots: voici venir John Florio
Je viens de terminer l'«autobiographie» de John Florio.
Les lecteurs le savent: j'ai suivi John Florio à la trace,
dans son enfance passée dans les Grisons, puis ses études à
Tübingen, et enfin son arrivée à Londres où il a, grosso
modo, passé le reste de sa vie.
En étudiant ses écrits, et ceux des écrivains ou chroniqueurs qui ont
parlé de lui, j'ai vu surgir un homme sympathique, profondément
honnête, incapable de flatterie, un caractère latin typique, de ceux
qui, débordant d'énergie, ne font rien à moitié: Florio était capable
autant de raisonner jusqu'à l'épuisement que de chanter à gorge
déployée ou de collectionner des mots à perte de vue, c'était un gai
luron, mais un homme sérieux, qui s'intéressait à tout, qui a passé sa
vie à travailler avec frénésie – et qui était, à mon avis, mal compris
de la plupart des Anglais.
Comment ai-je appris toutes ces choses? Tant en lisant ce qu'on a dit de lui, que certains des textes qu'il a écrits lui-même.
Je donne un exemple: pourquoi sais-je que Florio aimait chanter?
Lorsqu'il était à Londres employé comme tuteur de la fille de
l'ambassadeur de France, Florio est entré en contact avec Giordano
Bruno, un des grands philosophes de la Renaissance, un homme qui
supportait mal la médiocrité. Or, dans son livre La Cena de le
Ceneri (de même d'ailleurs que dans d'autres ouvrages), il parle
de Florio en termes louangeurs, et en croque un portrait intéressant.
Il faisait nuit; Bruno, Florio et quelques autres devaient se rendre à un souper auquel ils avaient été conviés (le fameux Souper des cendres).
De façon inattendue, ce qui paraissait devoir être un simple trajet en
barque (moyen de locomotion très usuel dans la Londres de l'époque)
devient une aventure complexe. La barque qu'ils finissent par trouver
est une antiquité, ils sont montés à bord, et pendant que les rameurs
(un très vieil homme et son fils) rament, le bois de l'embarcation
gémit à tel point que les passagers craignent pour leur vie. «Invités
par cette douce harmonie», écrit ironique Bruno, «nous avons accompagné
les sons par des chants. Messire Florio, comme pour se ressouvenir de
ses amours, chantait “Dove, senza me, dolce mia vita” (Où es-tu, ma
bien-aimée, loin de moi).» Ou peut-être, ajoutai-je, chantait-il
(le texte est ambigu) «Tu vas devoir vivre sans moi, ma bien-aimée» –
parce que, vu la vétusté de la barque, il se serait noyé.
Avec de petites touches de ce genre, j'ai reconstruit un personnage qui
m'avait d'emblée intéressée à la fois parce qu'il était italien (comme
moi), parce qu'il a passé son enfance en Suisse, parce qu'en Angleterre
il était vu comme un immigré en dépit du fait qu'il se sentait anglais
(«Italien de langue, Anglais de cœur», écrit-il), et parce qu'il a
exercé (comme moi pendant longtemps) la profession de traducteur et de
professeur de langues.
Dire qu'il était traducteur, ce n'est d'ailleurs pas suffisant, car de
ce métier, fort décrié à l'époque (on brûlait encore vifs des hommes
qui avaient l'outrecuidance de traduire la Bible en langue vulgaire),
il a fait une profession noble.
Il a été un passeur formidable, et a introduit en Angleterre un nombre
difficile à estimer, mais sans doute important, de textes italiens; il
enseignait l'italien aux Anglais (et l'anglais aux Italiens) par la
méthode du dialogue (longtemps avant la mise en œuvre des «méthodes
directes» de la pédagogie moderne), et nous avons de lui deux volumes
de dialogues, les First Fruits, et les Second Fruits (premiers et seconds fruits).
Il était par ailleurs convaincu que les proverbes et les expressions
sont l'âme de la langue, et il en a recueilli six mille dans un petit
volume appelé Giardino di ricreatione.
Et enfin, il a produit deux sommes qui lui ont valu d'être encore connu quatre siècles après sa mort.
Il y a d'abord eu son dictionnaire italien-anglais, Un monde de mots.
Aujourd'hui, un dictionnaire, c'est quelque chose de banal. Mais il a
fallu inventer, d'abord le concept, puis l'objet. C'est dans la seconde
moitié du XVIe siècle que les dictionnaires au sens moderne du
terme ont commencé à voir le jour.
John Florio a été, dans ce domaine, un précurseur.
Tout au long de sa vie, il a collectionné les mots, et a produit trois
éditions du premier dictionnaire italien-anglais de
l'histoire. D'autres travaillaient au même moment à des
dictionnaires dans d'autres langues, mais Florio, qui avait semble-t-il
l'art de ne pas faire comme tout le monde, a offert un dictionnaire
particulièrement moderne.
Dans son étude sur ces dictionnaires, la lexicographe Cristina Scarpino
écrit: «L’œuvre florienne considérée dans son ensemble est importante
non seulement pour l’histoire des rapports culturels entre l’Italie et
l’Angleterre pendant la Renaissance; elle constitue une véritable
pierre milliaire de la lexicographie préscientifique italienne,
monolingue et bilingue. La portée innovatrice du dictionnaire touche
deux points […]: la liste de mots se caractérise par l’enregistrement,
outre des formes italiennes, de formes dialectales, de mots techniques
ou provenant d’autres langues qui entrent pour la première fois dans la
lexicographie italienne; par ailleurs Florio utilise comme sources
linguistiques des œuvres de caractère non littéraire, ce qui a pour
conséquence la présence dans le dictionnaire d’un nombre considérable
de termes techniques, et inaugure ainsi un processus d’attention au
langage technique qui, de manière plus systématique, caractérisera la
lexicographie à partir du XVIIIe siècle.»
L'autre monument de la vie de Florio, c'est la traduction des Essais de Montaigne.
Les documents ne permettent pas de savoir si Florio a jamais résidé en
France, mais ce qui est sûr, c'est qu'il parlait couramment le
français, une des langues à la mode, moins répandue que l'italien, mais
néanmoins prisée. Il a par ailleurs travaillé pendant des années à
l'ambassade de France, c'était un ami de l'ambassadeur, cela lui a sans
aucun doute permis d'entretenir et de perfectionner la langue.
Pour les Anglais cultivés, la parution dans leur langue des Essais
a été une véritable bombe. D'autres écrivains (anglais) tentent de
rédiger leurs Essais. On en trouve des traces dans de nombreux textes,
notamment ceux de Shakespeare. Un monde nouveau s'ouvre à eux, après
s'être ouvert aux Français: celui de la conscience individuelle dans
toute sa gloire. Hamlet en sera un des premiers, éblouissants, fruits.
Ce qui m'amène aux amitiés de Florio. Ses biographes insistent souvent
sur ses ennemis, auxquels il vouait une hostilité manifeste et
constante. On ne parle pas suffisamment de ses amis, qui semblent avoir
été d'une fidélité à toute épreuve. J'ai mentionné Giordano Bruno. Je
n'alignerai pas ici les noms d'hommes et de femmes importants de
l'époque – je me contenterai de citer Shakespeare et Ben Jonson, les
plus célèbres dramaturges de son temps. Mais il semble avoir eu des
amis fidèles dans toutes les classes sociales, jusqu'à la reine
d'Angleterre (la femme de Jacques Ier) qui l'a gardé à son service
jusqu'à sa mort.
Il m'est difficile de résumer en quelques traits d'ordinateur une vie
exceptionnelle, tout entière vouée au langage par un homme
véritablement hors du commun.
Je ne peux que vous encourager à lire Un monde de mots
(oui, j'ai emprunté le titre à Florio lui-même); il vous permettra de
faire la connaissance d'un des plus grands traducteurs de tous les
temps, d'un homme de culture sympathique et attachant.
J'espère que vous aurez autant de plaisir à lire cette «autobiographie» que j'ai eu à l'écrire…
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Anne Cuneo brosse le portrait de John Florio
Un monde de mots boucle la trilogie de la romancière romande sur l’Angleterre savante de la Renaissance
Tout commence par un enlèvement. Dans la Rome de 1549, deux faux moines
tirent des geôles de l’Inquisition un prédicateur hérétique, promis au
bûcher. Il s’agit de Michelangelo Florio, qu’il faut conduire à Venise,
plus tolérante, puis à l’étranger. L’homme voyagera sous du fumier afin
de décourager les fouilles…
Un monde de mots, qui
boucle la trilogie consacrée par Anne Cuneo aux lettres britanniques du
XVIe siècle, tourne pourtant autour de John Florio. Il s’agit d’un
des fils de Michelangelo, établi à Londres. Le plus doué de la fratrie.
L’enfant se verra élevé dans les Grisons. La famille a encore dû fuir.
Marie la Sanglante entend rétablir le catholicisme en Angleterre.
Un «roman de formation»
Suit ce qu’on aurait jadis appelé un «roman de formation». John étudie
à Tübingen. L’un des sauveteurs de son père n’est autre que l’actuel
duc du Wurtemberg. C’est son premier protecteur. John en aura d’autres.
Comme celui du lait des nourrices, les liens tissés par le savoir se
révèlent presque aussi forts à la Renaissance que ceux du sang. À Lord
Leicester succédera le comte de Southampton, dont il deviendra le
précepteur. Revenu en grâce, ce dernier imposera Florio à la cour de
James Ier en 1604.
Sans coup de théâtre, sans scène de sexe, mais avec un zeste
d’espionnage, l’action progresse. John Florio entretient un rêve. Il
entend publier le premier dictionnaire italo-anglais. Un travail de fou
pour cet amoureux des mots, d’autant qu’il dispose de peu de temps.
De Montaigne à Bruno
L’homme participe de plus à la vie de son époque. Il croise Montaigne
en France à la page 154, Shakespeare à la page 231 et
Giordano Bruno à la page 251. À la page 272, John rencontre
enfin Élisabeth, parée comme une châsse et aussi rusée qu’une fouine.
La reine se souvient d’avoir bénéficié des leçons de Michelangelo.
L’italien est la langue chic du XVIe siècle…
La suite tourne autour du fameux dictionnaire (sorti en 1598) et de la
traduction pionnière de Montaigne en anglais (1603). L’ouvrage est à
l’image d’Anne Cuneo, comme elle l’explique dans sa postface. «Ce qui
m’a d’abord intéressée chez Florio, c’est qu’il était, comme moi,
d’origine italienne, qu’il avait grandi en Suisse, qu’il s’était
intégré dans l’Angleterre de son époque sans jamais vraiment gommer sa
différence.» Le fait que l’homme, dont elle livre en fait une
biographie romancée, ait été traducteur l’a fascinée. Anne a longtemps
fait «passer» des livres d’une langue à l’autre…
Bien documenté, sobrement écrit, l’ouvrage (qui arrive après Le Trajet d’une rivière et Objets de splendeur, Monsieur Shakespeare amoureux)
possède un immense mérite. Il évite la tentation du faux vieux. Anne
Cuneo ne multiplie pas les descriptions, afin de prouver qu’elle sait.
Elle évite un langage voulu d’époque. Un monde de mots
reste écrit au présent, même s’il s’agit de mémoires fictifs. Plus ou
moins ruiné, la cour ne lui ayant jamais versé sa pension, Florio les
rédige en 1622 à l’intention de son petit-fils. Un jeune impertinent
qui se fait un plaisir de voler sa mère pour gâter son grand-père…
ÉTIENNE DUMONT, Tribune de Genève
Anne Cuneo alias John Florio
Suite et fin de la trilogie élisabéthaine amorcée avec Le Trajet d’une rivière, Un monde de mots raconte la vie de John Florio, traducteur et héros discret de la Renaissance.
Longtemps, elle n’a pas écrit de roman. Gravé au diamant, Mortelle maladie, Passage des panoramas, Les Portes du jour:
de longues et douloureuses séances de psychanalyse. Le plaisir? Que
nenni. De la souffrance, à tel point que lorsque son éditeur Bernard
Campiche décide de rééditer ses premiers romans, elle est incapable de
les relire. Ce n’est qu’avec Hôtel Vénus,
paru en 1984, qu’Anne Cuneo découvre le plaisir d’écrire. Elle qui
avait quasiment décidé d’arrêter se laisse persuader par Bernard
Campiche d’écrire Station Victoria, premier roman du reste de sa vie d’écrivaine.
En 1993, d’auteure romande elle gagne le statut d’écrivaine internationale grand public avec le succès du Trajet d’une rivière,
saga historique consacrée à Francis Tregian, noble de Cornouailles,
tour à tour secrétaire d’un prélat à Rome, marchand de soie à
Amsterdam, soldat, espion, catholique ami des protestants et surtout
admirable amateur de musique à qui l’on doit la transmission d’une
bonne partie de la musique élisabéthaine – publié par Campiche en 1993,
repris par Denoël, réédité en Folio Gallimard, prix des Libraires, prix
des Auditeurs de La Première, prix Madame Europe.
Elle ne le savait pas, et nous non plus, mais Le Trajet d’une rivière
allait être le premier de trois romans consacrés à la Renaissance
élisabéthaine anglaise, trilogie que vient aujourd’hui clore avec
panache Un monde de mots.
Elle découvre John Florio – né Giovanni Florio d’un père moine italien
converti à la Réforme et réfugié à Londres – pendant qu’elle écrivait Le Trajet d’une rivière.
Un vieux professeur anglais lui met entre les mains une biographie de
Florio en lui disant: «Vous et lui avez des affinités. Je crois que
vous auriez des choses à vous dire.»
C’est en écrivant Objets de splendeur
(Campiche, 1996), deuxième de ses trois romans élisabéthains esquissant
joliment un Shakespeare amoureux, qu’elle prend conscience du rôle
central que Florio avait joué pendant cette quarantaine d’années où la
Renaissance anglaise a produit une floraison rarement égalée.
Le déclic a eu lieu en 2009. De passage, par hasard, dans un restaurant
du village grison de Soglio, elle se rend compte qu’elle se trouve à
l’emplacement exact de l’ancienne cure du village, où le père de Florio
avait été nommé pasteur en fuyant les persécutions religieuses. Elle
part du coup sur les traces de son héros – l’enfance à Soglio, les
années d’études à Tübingen, puis Londres où il passe la plus grande
partie de sa vie avant de mourir de la peste à l’âge de soixante-douze
ans.
John Florio a tout d’Anne Cuneo: origine italienne, multilinguisme,
intérêt pour la langue et la culture, travail de traduction et
d’écriture. Des affinités biographiques et culturelles qui rendent
évidemment le plaisir fou qu’a eu l’écrivaine à glisser dans la peau
d’un John Florio racontant sa vie à ses petits-enfants. Ses recherches
confirment ses intuitions: ce personnage méconnu a joué un rôle capital
dans le développement de la langue anglaise, contribué à constituer
l’italien moderne et traduit en pionnier les Essais de Montaigne et le
Décaméron de Boccace à une époque où la traduction était encore décriée
par l’Église. Formidable passeur de la Renaissance et de la
civilisation italiennes en Angleterre, ami de Shakespeare, il a été
durant quinze ans un homme de cour, enseignant l’italien aux deux fils
de Jacques Ier et servant de lecteur secrétaire à la reine Anna.
Chaleureux, vivant, Un monde de mots
met en scène ces enjeux culturels, dont notre civilisation est
directement issue, avec brio et talent. Coïncidence: ce livre paraît en
2011, quatre cents ans exactement après Queen Anna’s New World of Words, la dernière et la plus aboutie version du grand dictionnaire de Florio.
ISABELLE FALCONNIER, «Sélection. Le meilleur de la rentrée littéraire»
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John
Florio est né en Angleterre d’un père italien et d’une mère
probablement anglaise; il a grandi dans les Grisons suisses, puis,
après des études à Tübingen, est retourné en Angleterre où cet Européen
polyglotte a été le professeur d’italien, et parfois de français
(langue qu’il parlait couramment), d’hommes et de femmes issus de
toutes les classes sociales – marchands, nobles, artistes, princes et
jusqu’à une reine; il se pourrait que Shakespeare ait été un de ses
élèves. Son dictionnaire italien-anglais et sa traduction des Essais de Montaigne en anglais sont de véritables monuments, à la fois linguistiques et culturels.
Un Monde de mots (titre emprunté au dictionnaire italien-anglais de John Florio) clôt une sorte de trilogie.
Le premier volet, Le Trajet d’une rivière, retrace l’histoire de Francis Tregian, le collectionneur du célèbre Fitzwilliam Virginal Book; le deuxième, Objets de splendeur, Monsieur Shakespeare amoureux, permet de connaître la première femme écrivain publiée en Angleterre.
La trilogie se conclut sur Un monde de mots,
qui raconte la vie et les aventures de John Florio, un des hommes qui
ont, de façon ouverte ou souterraine, façonné la culture européenne.
Anne Cuneo, Renaissance toute!
L’écrivaine préférée des Romands clôt sa trilogie sur la Renaissance avec Un monde de mots, saga consacrée à John Florio, pionnier de la traduction et des dictionnaires.
Imaginez: cette femme n’a pas parlé un mot de français avant ses neuf
ans. Aujourd’hui, l’écrivaine majeure de Suisse romande, celle qui a un
public, draine les foules lors des dédicaces, dont les lecteurs
achètent le nouveau livre sans lire la quatrième de couverture, dont
les romans sont repris en éditions de poche en France, c’est elle.
Imaginez: cette femme était de la «vermine» à son arrivée en Suisse,
pour reprendre le titre d’un livre qu’elle écrira sur ce thème par la
suite, Italienne pauvre, orpheline de père et abandonnée par sa mère à
qui l’on demandait si elle savait ce qu’était une salle de bains.
Aujourd’hui, elle sait tout faire, des pièces de théâtre, de la
traduction, du journalisme, de la mise en scène, des documentaires, des
récits autobiographiques, des romans historiques, des polars. Anne
Cuneo est un miracle de résilience doté d’un caractère de cochon, d’un
sourire irrésistible de franchise et de deux yeux pervenche à la
volonté de fer.
Son nouveau livre ne va que conforter son avance. Un monde de mots
raconte l’histoire de John Florio, né Giovanni Florio d’un père moine
catholique italien qui avait embrassé la Réforme, avait été arrêté par
l’Inquisition et s’était enfui à Londres, alors protestante. Expulsé
avec femme et enfants sous Marie la Sanglante, il atterrit à Soglio, un
village réformé des Grisons où il devient pasteur.
John y passe son enfance avant de partir pour Tübingen puis Londres, où
il devient un formidable passeur de la Renaissance et de la
civilisation italiennes en Angleterre, traducteur à une époque où
c’était encore puni par l’Église, lexicographe, auteur du premier
dictionnaire italien-anglais, professeur d’italien à la cour, ami de
Shakespeare et des plus grands, produisant deux sommes qui lui valent
d’être encore connu quatre siècles après sa mort: son dictionnaire
italien-anglais, intitulé comme le roman d’Anne Cuneo Un monde de mots, et la traduction des Essais de Montaigne, dont la parution en anglais a été une véritable bombe.
Chéri de ces dames. Ce héros superbe – «À cinquante-neuf ans, il avait
encore tous ses cheveux et devait être le chéri de ces dames» –
apparaissait déjà dans Le Trajet d’une rivière et dans Objets de splendeur,
où dominait la figure d’un Shakespeare amoureux de sa Dark Lady, et
clôt ainsi une trilogie élisabéthaine qu’Anne Cuneo construisait à
notre et quasi à son insu.
Le Trajet d’une rivière
a beaucoup plu: publié par Campiche en 1993 puis repris par Denoël,
réédité en Folio Gallimard, prix des Libraires, prix des Auditeurs de
La Première et prix Madame Europe, il a marqué un tournant dans la
carrière d’Anne Cuneo, lui donnant une dimension internationale et
populaire qu’elle n’a plus quittée. Un monde de mots plaira à tous ceux qui ont aimé Le Trajet d’une rivière, et cela fait beaucoup de monde.
Si Le Trajet d’une rivière
racontait la vie de Francis Tregian, noble de Cornouailles tour à tour
secrétaire d’un prélat à Rome avant de devenir marchand de soie à
Amsterdam, catholique ami des protestants, gentilhomme pratiquant la
musique et l’épée, dévorant avec passion Montaigne pour finir sa vie
dans la campagne suisse à fabriquer des instruments de musique, John
Florio, fils d’un catholique viré protestant dans cette Europe
tourmentée par ses passions religieuses, prend le contrepied du destin
de Tregian et complète parfaitement cette trilogie destinée, selon son
auteure, à «présenter des personnages importants, mais méconnus, de la
culture élisabéthaine».
Anna d’abord. C’est un vieux spécialiste de l’Angleterre élisabéthaine,
Alfred Leslie Rowse, rencontré peu avant sa mort en 1997, qui lui met
un jour entre les mains une biographie de Florio, en lui disant: «Vous
devriez lire cette vie. Je crois que vous auriez des choses à vous
dire.» C’est le cas.
«Ce qui m’a intéressée chez John Florio, c’est qu’il était, comme moi,
d’origine italienne; qu’il avait grandi en Suisse; qu’il s’était
intégré dans l’Angleterre de son époque sans jamais vraiment gommer sa
différence, parce qu’il y était vu comme un immigré en dépit du fait
qu’il se sentait Anglais et parce qu’il a exercé, comme moi pendant
longtemps, la profession de traducteur et de professeur de langues.
Je crois pouvoir ressentir ce que lui a ressenti durant sa vie.»
Elle-même, comme lui, née Anna, mais Anne dès son arrivée en Suisse,
histoire de faire oublier aux professeurs et aux autres élèves qu’elle
était Italienne, donc expulsable et méprisable.
Alors qu’elle amassait de la documentation sur lui depuis quinze ans,
le déclic se produit en 2009, lorsqu’elle gagne un bon pour manger dans
un restaurant, et que Soglio est sur la liste. Par hasard, le
restaurant se trouve dans le bâtiment de l’ancienne cure, celle-là même
où la famille de Florio s’était réfugiée et où le père avait été
pasteur! Du coup, elle part sur ses traces, l’enfance aux Grisons, puis
les études à Tübingen et enfin son arrivée à Londres, où il meurt de la
peste à soixante-douze ans.
Jubilation. Anne Cuneo «comprend qui Florio était vraiment» en décidant
d’en faire un grand-père qui raconte, tard dans sa vie, son histoire à
ses petits-enfants. Elle se glisse dans sa peau en le dotant d’une voix
classique, vivante et chaleureuse mais sans mots outrancièrement
modernes, s’effaçant devant le personnage. Un Monde de mots est un
excellent roman.
Plongé dans les remous de la Renaissance européenne, il rend
aventureux, palpitant et émouvant le monde des mots, des idées, de la
langue et de la littérature. Et surtout, on y retrouve la jubilation
qu’Anne Cuneo avait eue à raconter la vie de Francis Tregian.
«J’ai découvert le plaisir d’écrire en écrivant Hôtel Vénus,
paru en 1984, après déjà presque dix livres. J’avais décidé d’arrêter
d’écrire. C’est Bernard Campiche qui m’a persuadée d’écrire Station Victoria,
pour lequel je me suis mise à inventer pour la première fois. Quelle
délivrance! Avant, j’écrivais des récits autobiographiques qui
naissaient dans la douleur, comme une psychanalyse.» À tel point que
lorsque Bernard Campiche commence à rééditer ses récits, elle est
incapable de les relire.
Anne Cuneo promet qu’elle en a fini avec la Renaissance. Sa renaissance
à elle, c’était après l’enfance, lorsqu’en postulant pour entrer en
faculté des lettres à l’université, elle découvre que l’italien peut
être un objet non de mépris et de honte mais de savoir et d’étude. Elle
ose enfin reparler sa langue maternelle, et l’aimer. D’ailleurs, son
prochain roman se passe dans les années 1940.
Anne Cuneo vue par les libraires
Françoise Berclaz, La Liseuse, Sion
Les lecteurs l’apprécient et elle fait partie de ces écrivains qui ont moins besoin des libraires! C’est Le Trajet d’une rivière
qui lui a donné un lectorat d’habitués. Elle a trouvé la bonne formule
en écrivant des livres historiques bien documentés permettant
d’apprendre des choses de manière romanesque. Être romande n’est pas un
handicap, il y a des lecteurs qui aiment s’identifier à l’écrivain. Le
fait qu’elle soit éditée chez Campiche, qui a une bonne renommée, est
un ingrédient de plus qui la rend populaire.
Véronique Overney, La Fontaine, Vevey
Il y a deux Anne Cuneo: celle d’avant Le Trajet d’une rivière,
plus engagée politiquement, socialement et aux livres
autobiographiques, qui intéressait des lecteurs plus intellectuels.
Celle d’après, qui a séduit un public plus large, moins spécifique,
avec des polars et des romans-fleuves. C’est une passeuse, elle ouvre
un chapitre de notre passé et le raconte en romançant de manière très
équilibrée. La notion de plaisir est très importante aux yeux de ceux
qui la lisent. Elle met son écriture au service de l’histoire sans
chercher d’effets de style, et les lecteurs lui en savent gré.
Pierre-François Clavel, Payot, Lausanne
Elle inscrit ses histoires dans le sérieux de l’Histoire, ce qui plaît
beaucoup aux lecteurs. Tout comme le fait que, en tant qu’écrivaine
romande, elle ait cette ambition de l’Histoire. Sa série policière,
située dans nos villes romandes, permet au lecteur une identification
forte. Et l’on sent dans son écriture une sincérité, une réelle envie
de nous transmettre des choses, qui inspire confiance. Je l’apprécie
beaucoup, même si je la considère moins comme une écrivaine romanesque
que comme une écrivaine journaliste qui écrit des romans.
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