SILVIA HAERRI

LOIN DE SOI

nouvelles
2013. 176 pages. Prix: CHF 32.–
ISBN 978-2-88241-330-7

Prix Georges-Nicole 2013


Biographie

Vous pouvez nous commander directement cet ouvrage par courriel.

Elles sont courtes, ces nouvelles. Et pourtant en chacune d’elles, l’auteur s’investit, explique, souvent à la première personne, l’incompréhension et la solitude dont est fait l’existence. Que ce soit pour l’enfant qui attend en vain sa mère, la vieille dame qui parle au portrait de son mari, la jeune femme qui «oublie» son bébé dans le tram, l’homme qui va tuer le contrôleur aérien parce que sa famille est morte dans l’accident d’avion, elle décortique, avec une aisance cruelle les velléités et les ratages. Et parfois, au coin d’une phrase, revient un bien faisant souffle de poésie.
Ce recueil a eu le prix Georges-Nicole 2013.


JULIETTE DAVID,
Suisse magazine

Haut de la page

Déjà présentée à nos lecteurs, l'écrivaine genevoise Silvia Härri, attachée  à l’écriture poétique, propose ici un recueil de dix-huit nouvelles, comme autant de monologues intérieurs. Un enfant qui attend en vain sa mère ouvre le bal, une femme qui laisse le sien dans le tram le clôture. Entre deux, des femmes et des hommes plus ou moins jeunes, confrontés à de grands moments de solitude. Silvia Härri a une capacité indiscutable à l’empathie, qui lui permet en quelques traits de plume de faire émerger un univers intérieur. La peinture des caractères reste cependant un peu trop en surface par moments, conférant une certaine naïveté au texte.
À signaler que Loin de soi a reçu le Prix Georges-Nicole 2013, une récompense lancée en 1969 par Jacques Chessex et Bertil Galland, destinée à un(e) écrivain(e) de langue française  n’ayant jamais édité de roman.


LUCIENNE BITTAR,
Choisir

Haut de la page

L’auteure vit à Genève où elle enseigne l’italien et l’histoire de l’art. Après avoir reçu l’an dernier le prix des écrivains genevois, elle remporte cette année le prix Georges-Nicole pour son premier recueil en prose.
Sauf que ce n’est pas un auteur, c’est Fregoli. Elle se glisse aussi bien dans la peau d’une collégienne que d’une vieille dame qui s’ennuie dans un EMS et revit son passé en attendant la fin, d’un ornithologue solitaire ou un gamin délaissé, empruntant à chacun son vocabulaire et ses préoccupations. Une merveille.


LILIANE ROUSSY,
Le Chênois

Haut de la page

Révoltes intimes

Loin de soi s’ouvre sur la voix d’un jeune garçon, inquiet d’avoir été oublié à la sortie de l’école. Un jeu de miroir eut que le recueil se termine sur les questionnements d’un mère, dépassée par la naissance de son premier enfant. En dix-huit courtes nouvelles, Silvia Härri nous plonge dans l’intimité d’êtres perdus dans un monde où ils ne trouvent pas leur place. «Tous les rôles ont été distribués sauf le mien», constate une comédienne en deuil, mettant des mots sur le malaise qui traverse le recueil. Mis à l’écart de leur propre vie, les personnages de Silvia Härri se révoltent avec maladresse, parfois avec violence pour trouver prise sur une réalité fuyante.

Loin d’eux-mêmes, ce sont des enfants et des vieillards, une prostituée, un ornithologue ou même un tableau auxquels l’auteur donne une voix pour crier ou, au contraire, se taire. Autant de portraits que Silvia Härri choisit de faire sans description: les faiblesses de chacun se dévoilent dans les paroles, les doutes et les actes; leurs forces se construisent dans la nature et l’imaginaire. La Genevoise nous plonge sans fard dans les profondeurs intimes de ses personnages.
Principalement dominé par des monologues intérieurs, le recueil touche avec un style simple et direct, qui s’accorde avec finesse aux incertitudes et désirs secrets de chaque protagoniste. Vulgaire lorsque c’est nécessaire, oralisée sans tomber dans le cliché, la langue de Loin de soi dit le réel avec justesse. Plus important, elle ne dit pas tout et nous laisse deviner ce qui se cache derrière la banalité du quotidien.
La prose de Silvia Härri parle à chacun; ce n’en est pas moins la langue d’un écrivain. Pour dire l’ambiguïté des sentiments, les paradoxes se répètent et s’inversent, venant rythmer le texte et renforcer l’impuissance des personnages. Face à la nature, les images surgissent, traces de la carrière poétique de Silvia Härri: Il aime la neige, cette couche trompeuse sur le relief des choses qui masque les aspérités comme un rideau tiré sur la vérité. Et lorsque la poétesse s’efface devant ses personnages, les voix trouvent leurs propres métaphores, avec la naïveté d’un enfant, la pragmatique d’une «ménagère ou l’intelligence du scientifique».
Nouvelles-instants, les textes réunis dans ce recueil sont brefs. Inutile de tout dire: leurs chutes restent suspendues dans l’incertitude, entre dérisoires et tragique, comique et drame. Une nouvelle, peut-être, ne respecte pas ce pacte: «Montana, aller simple» se découpe en chapitres sur lesquels on aimerait s’attarder. La rencontre entre un doctorant genevois et un ours brun d’Amérique ouvre de vastes perspectives descriptives et narratives, que l’on aimerait voir développées au-delà d’une nouvelle… Silvia Härri, primée en 2012 pour sa poésie dans Mention «fragile» et récompensée du prix Georges-Nicole en 2013 pour son premier recueil en prose, tient-elle là un embryon de roman? L’enseignante genevoise n’a pas encore révélé ses projets, mais elle nous offre de quoi patienter avec les dix-huit nouvelles intimes et intenses de Loin de soi.


LOUISE BONSAK,
Les Lettres et les arts

Haut de la page

Dans un recueil de nouvelles, un auteur a la possibilité de dresser le portrait de personnes toutes différentes les unes des autres et de s'en tenir éloigné à la faveur de ces différences. Car l'auteur, dans les conditions de ce genre littéraire, où les raccourcis et l'intensité sont de rigueur, peut aisément ne pas se livrer, ce qu'il fait immanquablement, ici ou là, quand il doit tenir la distance d'un roman, fût-il court.
file:///Users/bce/Documents/Campiche%20Site%20kompozer/pages/oeuvres/Cire.htmlSilvia Härri dépeint en situations, dans son recueil intitulé Loin de soi, des personnes de tous âges, à la première, à la deuxième et à la troisième personne, de sexe masculin comme de sexe féminin. Elle les regarde à distance tout en sachant les rendre proches. Elle se fait démiurge, un privilège d'écrivain dont elle ne se prive pas, et dont elle aime user.
Un petit garçon attend sa maman à la sortie de l'école. Le temps passe. Il n'ose pas bouger. Et pourtant cette attente est insupportable pour ce petit bonhomme.
Une femme passe un scanner dans un établissement hospitalier. Le médecin lui explique ce que signifie le résultat obtenu, dans son jargon, puis avec des mots qu'elle comprend trop bien.
Avant de se coucher, une femme âgée, pensionnaire d'un EMS, parle du petit monde de l'établissement à quelqu'un qui ne pipe mot et que le lecteur découvre à la fin.
Depuis son mayen un homme part épier les oiseaux. Il en a repéré un, rare, qui manquait à sa collection d'images. Au moment de toucher au but, il fait une chute.
Sans jamais lui en avoir touché un mot, Lucille est sensuellement amoureuse de sa prof d'histoire de l'art, une matière qu'elle maîtrise parfaitement, telle la bête. Il existe entre elles deux une connivence tacite, qui se dément pourtant ce jour-là, pour elle ne sait quelle raison.
Les timides de l'expression orale se reconnaîtront dans sa pensée de gymnasienne:
Écrire, c'est tellement plus simple que parler. Même beaucoup plus simple que vivre.
Par une nuit nuageuse, elle et lui guettent le moment où les étoiles filantes leur permettront de faire un voeu. Elle ne l'aime plus, bien qu'il soit bien sous tous rapports, mais justement il est trop bien, et elle sait que cela présage routine et ennui. Or elle préfère de loin le désordre à une prison...
Passagère dans un train, elle écoute des bribes de conversations entre jeunes gens, entre une mère et sa fille, copie plus jeune d'une vingtaine d'années, les annonces en gare, un passager qui se plaint et dégoise sur les jeunes, des échanges unilatéraux sur téléphone mobile etc.
Sur un réseau social, une femme, que les autres à l'école appelaient la plaie, y crée un profil rêvé et décroche une rencontre inespérée avec un homme, impatient de faire sa connaissance:
Est-ce que s'inventer la vie qu'on rêve, c'est mentir? Moi, je ne crois pas. Ce n'est pas vrai qu'il faut toujours dire la vérité.
Cette fois la personne est un objet, de soixante kilos, de plus d'un mètre de superficie, qui a su très tôt qu'on le ferait cardinal, au temps de la Renaissance. Les propriétaires successifs de cet objet sont en quête du nom du père de celui-ci.
Rom elle est. À quatorze ans, Eta est partie de là-bas. Cela fait dix ans qu'elle fait la pute ici, pour rembourser les dettes de la famille restée au pays. Là-bas elle ne peut donc pas rester. Ici non plus, parce ça la dégoûte.
Jean remettait toujours au lendemain le moment où il annoncerait à sa femme qu'il la quittait pour elle. Elle l'avait cru jusqu'au jour où il était parti en vacances avec sa femme, naturellement. Il n'était jamais revenu. Il avait trouvé la mort dans un accident de la route. Alors elle l'enterre à sa façon.
Il est parti pour le Montana. Son maître à penser, Garland, lui avait dit que ça embellirait son CV et lui avait promis un poste de professeur associé à son retour. Alors il n'avait pas discuté:
Si Garland suggère demande ou ordonne, j'exécute, un point c'est tout. Je ne me pose pas trop de questions inutiles. Serrer les dents, se taire, ne jamais refuser, je connais les règles du jeu.
Pendant son séjour au Montana, il fait une rencontre déterminante, avec un grizzli.
Elle est femme au foyer. Elle travaille dur: les commissions, le linge, la lessive, le repassage, la maison à tenir, les enfants, l'école, la vaisselle etc. Lui aussi travaille dur et se met devant la télé, aussitôt rentré. Ils ne se parlent plus. Ou plutôt, c'est elle qui parle, et lui ne répond plus.
Une psy reçoit dans son cabinet une jeune fille, Léonie, qui vient de passer sa maturité avec la mention bien et qui s'est inscrite à la Faculté de droit. Au début elle est muette comme une carpe. Peu à peu elle se livre et les rôles s'inversent. C'est la psy qui a finalement besoin de Léonie...
Toute une école a gagné un voyage. Sa femme, sa fille et son fils sont partis. Lui est resté. Il avait du travail en retard. Mais leur Tupolev a rencontré un autre avion à la suite de problèmes avec la tour de contrôle de Zurich. Alors il s'est retrouvé les menottes aux poignets:
Je n'allais quand même pas le laisser vivre. Il avait détruit ma vie.
À quatre ans elle se rend chez tante Trudi, qui a lui a préparé un gâteau d'anniversaire, une forêt noire. Mais il n'est pas question de laisser tomber des miettes sur la moquette vert pomme, car il faut qu'ici tout soit tip-top. Elle revoit tante Trudi bien des années plus tard et tante Trudi lui a fait ...une forêt noire.
À l'atelier on lui a dit qu'elle devait rester focalisée sur sa vie intérieure. Pour ce faire, elle s'est installée contre le muret du cimetière. Mais elle a eu envie de parler de tout autre chose:
Tout ce qui m'intéresserait, ce serait de parler de l'existence des arbres et de l'humus.
Luc est parti et l'a laissée. Il ne voulait pas du bébé. Elle, pendant tout le temps qu'elle l'attendait, elle se faisait une joie de leur rencontre programmée. Mais quand il est apparu, ce fut une autre histoire, qui se termine dans un tram...
Dans chacune de ces histoires courtes le style change et s'adapte au sujet. Ici c'est un gamin qui parle, là une personne âgée, là encore une ado. Chaque fois avec son vocabulaire, approprié. C'est bien sûr une remarque qui s'applique aux notes que prend la psy au cours de son analyse au détour inattendu.
Silvia Härri s'incarne vraiment dans chacune de ces personnes – et même dans un objet, une oeuvre d'art. Ces êtres ne se ressemblent pas, ils ne lui ressemblent pas. Il y a à la fois de la distance et de la proximité.
Cette distance et cette proximité sont celles de la créatrice avec ses créatures. Mais ces créatures, en dépit des vicissitudes qu'elles traversent, restent-elles elles-mêmes ou, au contraire, s'éloignent-elles de ce qu'elles sont vraiment d'ordinaire, parce qu'elles ont franchi un pas, sans retour possible?
Demain n'est jamais un autre jour, dit pourtant l'une d'entre elles.


Blog
de FRANCIS RICHARD

Haut de la page

Loin de soi près des mots

Tout d'abord attirée par la poésie (elle compte à son actif la publication de trois recueils), elle se tourne vers le genre de la nouvelle qui, de par son caractère court, se rapproche de ses premières amours. Elle est publiée en 2011 aux éditions Encre Fraîche, dans le collectif À quoi rêvent-ils?… Avec Loin de soi, lauréate de la quinzième édition du Prix Georges-Nicole, Silvia Härri signe son premier recueil personnel de nouvelles.

Un recueil de nouvelles, c’est comme un assortiment de chocolats regroupés sous la même enseigne, dont les parfums sont déterminés à l’avance. On ouvre la boîte, sans savoir vraiment ce qui va passer par nos papilles ou nos pupilles.
On déguste à l’aveugle.

Alors que le noir de la nuit commence à prendre ses quartiers, un petit garçon attend sa mère qui ne vient pas. Une femme va chez un médecin pour passer un scanner et décide d’oublier le résultat. Une dame âgée discute avec la photo de son défunt mari. Un ornithologue cherche à photographier l’oiseau qui lui a toujours échappé. Une adolescente  fantasme  sur sa professeure d’histoire de l’art. Une jeune femme contemple les étoiles avec son petit ami et se demande comment lui dire qu’elle ne l’aime plus. Des bribes de conversations, saisies au vol pendant un voyage en train. Un tableau se demande qui est son créateur. Les rêves d’une prostituée… Les sujets s’enchaînent et se suivent.
Comme les chocolats d’une boîte disparate, les nouvelles dans un recueil offrent une variété de goûts et de tons. Silvia Härri a un talent indubitable pour se fondre dans ses personnages et retranscrire leurs sensations, leurs émotions, leurs désillusions. Jouant sur différents styles, certains plus maîtrisés que d’autres, elle crée pour ses lecteurs un panel de situations qui relèvent souvent de questionnements de la vie quotidienne. Avec une écriture directe et mordante, un ton qui sonne juste, elle plante rapidement le décor. Les textes permettent de s’immerger dans l’intériorité des personnages et de faire entendre une diversité de vois. Dans chacune des dix-huit nouvelles, les personnages sont différents: enfants, adolescents ou adultes; quant à la nouvelle «Le nom du père», elle surprend particulièrement dans le fait qu’elle nous entraîne dans les pensées d’un tableau de la Renaissance.
Les nouvelles se terminent sans se terminer. En les laissant sur leur faim, l’auteur donne la liberté à ses lecteurs d’imaginer la suite.


JADE SERCOMANENS,
L’Agenda

Haut de la page

Un défilé humain

Un enfant que sa mère ne vient pas chercher, une jeune fille qui n’ose pas dire qu’elle n’est plus amoureuse, un ornithologue qui croit avoir vu un lagopède, un cardinal du XVIe dans son cadre… La lauréate du Prix Georges-Nicole 2013 ne craint pas de se glisser dans le cerveau des personnages les plus variés. Ce qu’ils partagent, c’est la solitude, refrain quelque peu douloureux, égrené chaque fois dans une langue différente. Un véritable exercice de style! La jeune auteure genevoise manie en effet la plume avec un certain brio. Manque l’émotion: on reste à bonne distance de ces héros de papier.


LOYSE PAHUD,
Femina

Haut de la page

Un portrait de l’humanité

Dix-huit nouvelles sans cesse changeantes, chacune brossant le portrait d’un personnage. C’est ce qu’offre Loin de soi. Ce premier recueil de nouvelles a valu à Silvia Härri, son auteur, le prix littéraire Georges-Nicole 2013.
Dès la première, «Si j’bouge», qui met en scène un enfant que sa mère a oublié de venir chercher à l’école, on perçoit la voix de l’auteur. Elle se travestit pour camper une série d’êtres humains, et même un tableau de la Renaissance dans «Le nom du père». Autour de ces personnages, l’auteur fait émerger un univers en suggérant la présence d’autres gens. En filigrane, le lecteur devine le mari de la narratrice de la nouvelle «Toi et moi», distant, plus désireux de regarder sa télévision que de dire bonjour.
Si les figures dépeintes sont souvent ordinaires, l’une d’elles a une certaine notoriété. Il s’agit du narrateur de «Menottes», à savoir l’homme qui, après le crash d’Überlingen, est venu tuer le contrôleur aérien responsable, à ses yeux, de l’accident qui a coûté la vie à son épouse et à ses enfants. Cette nouvelle laisse le lecteur seul face à l’acte commis, après avoir posé le terrible ressenti de son auteur: «Pourtant il fallait le faire, je n’allais quand même pas le laisser vivre. Il avait détruit ma vie.»
Analysés de façon succinte et détaillée, ces caractères divers sont un portrait de l’humanité avec lequel on ne s’ennuie pas. La musique est à chaque fois différente. À chaque fois, elle présente avec une belle précision un tableau emblématique ou une tranche de vie, saisie sur le vif.


DANIEL FATTORE,
La Liberté et Le Courrier

Haut de la page

Florilège d’un quotidien réinventé

Silvia Härri, lauréate du Prix Georges-Nicole 2013, explore toutes sortes de situations avec des bonheurs divers

Un petit garçon attend sa mère qui ne vient pas et la nuit tombe. Une femme passe un scanner et préfère ignorer le diagnostic. Une dame âgée raconte ses journées au portrait de son mari défunt. Une adolescente fantasme sur sa prof d’histoire de l’art. Une jeune fille qui contemple les étoiles avec son petit ami ne sait pas comment lui dire qu’elle ne l’aime plus. Un tableau s’interroge sur son auteur. Une épouse supplie son mari de faire plus attention à elle. Une jeune mère se retrouve encombrée de son bébé. Une petite prostituée rêve tristement. Conversations dans un train.
Autant de situations tout au bord du quotidien pour la plupart; situations embarrassantes, légèrement angoissantes ou parfois même paniquantes, dont s’est saisie la poétesse Silvia Härri, qui a publié en 2010 Balbutier l’absence, un recueil de poèmes aux Éditions Samizdat. Elle a, par ailleurs, remporté en 2012, le Prix des écrivains genevois pour un autre recueil, à paraître en 2014 celui-là, Mention fragile. Et la voilà qui fait paraître une série de nouvelles, cette fois, chez Bernard Campiche. Elle est, de plus, une nouvelle fois saluée, puisqu’elle a remporté pour ce livre, le Prix Georges-Nicole 2013.
Silvia Härri s’aventure dans des sujets très divers, prête sa plume à de nombreux personnages: jeux de monologues – intérieurs ou non. Ces voix montent avec des bonheurs divers. Certains récits sont très attendus et leur écriture semble peu travaillée. D’autres touchent par leur empathie. D’autres sonnent juste comme «L’Oiseau rare», «Montana aller-simple» et surtout «Contre le muret»: des textes plus originaux, qui prennent le temps de regarder la nature, d’observer tranquillement les sensations, de penser et de soigner l’écriture.


ÉLÉONORE SULSER,
Le Temps

Haut de la page

Nyon
Ce soir, le prix Georges-Nicole sera attribué à Silvia Härri, auteur genevoise de Loin de soi, une série de nouvelles.
Une plume genevoise primée

L’écrivaine genevoise Silvia Härri a gagné le treizième prix littéraire Georges-Nicole qui est remis ce soir à Nyon. Une récompense prestigieuse qui a vu des plumes aussi talentueuses que celle de la regrettée Anne-Lise Grobéty ou encore l’auteur bernois francophone Thierry Luterbacher l’emporter. Cette année, le jury, composé notamment par le journaliste Bertil Galland (qui a été l’un des fondateurs du prix) ou encore la romancière Sylviane Roche, renoue avec le genre particulier de la nouvelle en octroyant le prix à Silvia Härri pour Loin de soi.

Qu’est-ce qui vous conduite à l’écriture?
C’est une chose que je porte en moi depuis longtemps. Lorsque j’ai décidé de quitter le monde académique pour me consacrer plus en profondeur à l’écriture, je me suis aperçue que ce ne sont pas les études de lettres qui portent en elles les germes de l’écriture. Elles aident à tracer une route, mais elles ne sont pas déterminantes. De quitter l’université de Genève, où j’étais assistante d’enseignement en italien, pour devenir Professeur au collège a été une manière de m’affranchir, en quelque sorte, du milieu dans lequel j’ai été formée.

Vous gagnez le prix Georges-Nicole avec une série de nouvelles, un genre que vous semblez particulièrement apprécier…
Oui, c’est vrai, mais j’ai commencé par faire de la poésie avant d’écrire des nouvelles. Je trouve que le roman est trop lourd, trop contraignant. Au contraire, la nouvelle est intéressante parce qu’elle est un bon test pour aller plus loin et se diriger vers la prose. Mais surtout, j’apprécie la nouvelle parce qu’elle est une forme brève qui va directement à la quintessence du verbe.

Dans vos écrits, vous parlez facilement des enfants ou encore des personnes âgées, ce sont des sujets qui vous intéressent spécialement?
(Elle rit). C’est une réalité qui m’est proche puisque je suis moi-même maman! Cela étant, je pense que la seule imagination ne suffit pas dans la création littéraire. À mon avis, c’est l’émotion qui porte le texte, qui lui donne sa résonance. C’est la raison pour laquelle j’essaie de rebondir – notamment sur des sujets d’actualité. C’est le cas avec ma nouvelle «Menottes» où j’ai essayé de me mettre dans la tête de l’homme qui a tué l’aiguilleur du ciel, suite à la tragique collision d’avions qui avait eu lieu au-dessus d’Überlingen en 2002.

«Il aime la neige, cette couche trompeuse sur le relief des choses qui masque les aspérités comme un rideau tiré sur la vérité», c’est une belle phrase tirée de votre nouvelle «L’Oiseau rare», comment construisez-vous vos textes?
Sur cette nouvelle précisément, j’ai laissé travaillé mon énergie créatrice. La construction du texte est venue ensuite. En général, c’est plutôt le contraire. Je pense sincèrement que le lecteur a besoin de balises, d’une trame bien précise dans la construction d’un texte. Je suis persuadée que l’excès d’intelligence dans un écrit nuit à la compréhension du sujet.


De l’humour dans la gravité

Elle a la tête plutôt bien faite, Silvia Härri, puisqu’il n’est jamais simple de débarquer dans le petit monde de l’édition romande. À ce titre, la grande force du prix Georges-Nicole, c’est sa légitimité à déceler de véritables pépites. Cela avait déjà été le cas lors de la dernière édition. Anne-Claire Decorvet avait été primée pour sa série de nouvelles En habit de folie.
Silvia Härri a une manière bien à elle de parler de sujets graves en ajoutant un soupçon d'humour qui lui donne un ton sensible et authentique. Une plume à suivre…


DANIEL BUJARD,
La Côte

Haut de la page

Trois titres publiés cette année à Orbe par Bernard Campiche, une anthologie et deux recueils d’auteurs suisses

Le premier, Un Voyage en Suisse. Récits des cantons (295 pages), affiche l’ambition avouée d’offrir «une mosaïque créatrice, une carte géographique narrative, un miroir de l’activité littéraire en Suisse», à raison d’un texte (paru après 1982) et d’un auteur par canton de la Confédération, de A à Z…
Malgré des choix subjectifs, ici ou là discutables, l’entreprise est réussie. Certains auteurs, comme Maurice Chappaz, Anne Cuneo, Jacques Chessex, Peter Bichsel ou le Tessinois Alberto Nessi, sont bien connus du lectorat helvétique. Bien d’autres sont à découvrir.
On est en droit de s’interroger sur l’existence de critères qui permettraient de définir une «littérature suisse». Sans doute certains dénominateurs communs apparaissent-ils en cours de lecture: l’évocation fréquente de la mort, tantôt sereine, tantôt tragique; le goût des atmosphères étranges, aux confins du fantastique (héritage de Jeremias Gotthelf?); une forte présence de la nature, souvent menacée voire violée par le tourisme et le bétonnage; la nostalgie d’une jeunesse passée à l’époque des Sixties, avec la musique et les joints qui l’accompagnaient; une vision souvent ironique ou critique de la Suisse, «un pays pour vieux, beaucoup trop ordonné et beaucoup trop propre», comme l’écrit le Zurichois Charles Lewinsky; d’autres textes s’ouvrent sur l’ailleurs, l’étranger, le monde.
Cependant, cette série de récits offre une telle variété d’écritures, de sujets et d’atmosphères que toute tentative d’énoncer des critères de «suissitude» s’avère rapidement vaine. On lira avec intérêt, et souvent avec plaisir, ce recueil qui offre un véritable kaléidoscope de la production littéraire dans notre pays.
Encore chéri! (157 pages) d’Antonin Moeri contient, entre autres, la nouvelle éponyme. Au cœur de chacune d’entre elles, quelque chose bascule: par exemple, les lettres d’amour qu’envoie un jeune adolescent à la fille d’un notable sont interceptées par les parents de cette dernière.
Ou encore, la narratrice du récit intitulé «Le Figurant» se débarrasse du bellâtre dont le corps l’a un moment séduite. Tel individu solitaire rencontré dans un café a-t-il tué sa mère handicapée? Les récits d’Antonin Moeri mettent volontiers en scène des marginaux, des personnages étranges ou inquiétants, dont le destin est parfois inspiré par des faits divers réels. On bascule souvent de l’apparente banalité vers le crime, accompli ou rêvé.
Le regard du narrateur est toujours distancié. La langue est claire, précise, sans effets de style apparents. Il peut s’y glisser une touche poétique, comme dans la belle évocation de Paris dans «Ville Lumière», qui fait un peu songer à Patrick Modiano.
Enfin le recueil Loin de soi (173 pages), de Silvia Härri, a bien mérité le prix Georges-Nicole 2013. Il séduit d’abord par la beauté de sa langue: «Il aime la neige, cette couche trompeuse sur la surface des choses qui masque les aspérités comme un rideau tiré sur la vérité.»
Surtout, ces récits sonnent juste, à l’image de ceux de la regrettée Yvette Z’Graggen. Ils mettent en scène tous les âges de la vie, de l’enfance à l’EMS. On notera, dans «Carnet de voyage», un étonnant télescopage de dialogues surpris dans le train, avec leurs parlers divers. Ou encore l’inattendu «Le Nom du père», où l’on découvre que le narrateur est… un tableau de la Renaissance.
On sent chez l’auteure une réelle empathie avec ses personnages, mais aussi un rapport profond avec la nature, les animaux. On est souvent dans l’ambiguïté des sentiments: ainsi, dans «Rature», ce rapport entre une psychothérapeute et sa jeune patiente: qui en réalité a besoin de qui? Tout cela compose une œuvre attachante, profondément littéraire, sans pourtant sentir la «littérature».


PIERRE JEANNERET
, Domaine public

Haut de la page

Silvia Härri
La vraie vie est intérieure

C’est dans la cuisine de son appartement, «au calme», que Silvia Härri a l’habitude d’écrire. Plutôt le matin. Sur cette table en bois massif, entourée des dessins colorés de son fils de quatre ans. Dos tourné à la fenêtre, comme pour ignorer les bruits émanant du quartier genevois de la Servette, où elle vit depuis trois ans. Ce matin-là, elle fait face au soleil. Il se reflète dans ses yeux. Verts, presque transparents, comme les pierres de son collier.

La force du quotidien

Enseignante d’italien et d’histoire de l’art au Collège Calvin, Silvia Härri est, à trente-sept ans, la révélation 2013 du prestigieux Prix Georges-Nicole pour son premier ouvrage en prose, le très intimiste «Loin de soi», édité chez Bernard Campiche. Dans cet émouvant recueil de nouvelles, on croise un père de famille endeuillé («Menottes»), une prostituée («Otchi Tchernye»), un ornithologue frustré («L’Oiseau rare»), une épouse esseulée («Toi et moi»), et bien d’autres personnages dont l’histoire, l’univers et le langage ne se ressemblent pas. Un seul point commun: une fissure à l’âme. Étrangers à eux-mêmes et aux autres, ces êtres vulnérables se cherchent sans forcément se trouver. Ils incarnent des thèmes qui «s'imposent instinctivement» à l’auteure: la solitude, le décalage entre ce que l’on est et ce à quoi l’on aspire. Le manque, car «si on a tout, on n’écrit rien», explique-t-elle. L’inspiration vient d’une photo, d’un fait divers, d’expériences, d’histoires glanées dans les transports publics. Des conversations du quotidien, «banales, mais d’une force incroyable». Elle les retranscrit, les transfigure avec empathie et un zeste d’humour.

Écriture instinctive

Silvia Härri dit que l’écriture n’a jamais été un hobby, mais un besoin, celui d’exprimer ce qu’elle perçoit, voit. Qui elle est. Depuis son enfance, elle invente des histoires, noircit des carnets qui sommeillent dans des tiroirs, «sans imaginer en faire quelque chose». Quand elle les rouvre, elle a vingt-huit ans et vient de quitter l’Université de Genève, où elle était pendant cinq ans assistante en littérature italienne. Un univers trop cérébral. «En cessant d’analyser les textes des autres, je me suis sentie autorisée à écrire les miens.». Instinctive, elle commence par la poésie, qui permet de «livrer des perceptions par le biais d’images et de mots». En 2012, son recueil «Mention «fragile»» lui vaut le Prix des écrivains genevois. Et lorsque, pour «aller vers l’explicite», elle se tourne vers la prose, elle préfère la nouvelle au roman, «trop long, trop contraignant». La langue? Le français. Mais avec une mère italienne, difficile d’ignorer l’idiome de Dante, sa musicalité. Comme un «alchimiste» en quête d’un autre univers culturel, Silvia Härri traduit certains de ses poèmes, mais en se «trahissant en toute légitimité», «pour que le texte puisse se métamorphoser».
En août se terminera une année sabbatique consacrée à l’écriture, à sa ritualisation. Une parenthèse parfois rude, solitaire. Du coup, l’enseignante a hâte de retrouver ses élèves. «J’ai besoin des autres, du monde pour créer.» Elle écrira pendant le week-end, les vacances. Une histoire ou des fragments sur la maternité, le corps, sa transformation. Il y a aussi ce projet de poésie bilingue pour lequel elle a reçu une bourse de Pro Helvetia en 2012.
Peut-être aura-t-elle encore le loisir de jouer de la guitare dans son vaste salon. Peut-être aura-t-elle toujours envie d’écouter Bach ou Barbara. Une chose est sûre: elle prendra le temps de découvrir de nouveaux auteurs et de relire ses favoris: Pierre Chappuis, Claire Genoux, la poétesse polonaise Wislawa Szymborska en tête. Silvia Härri sait comment soigner sa vie intérieure. Pour être au plus près d’elle-même.

SÉVERINE SAAS, Sélection. Supplément de L’Hebdo. Payot Libraire. Printemps 2013

Haut de la page

Dernière nouvelles

«Ça fait déjà un bon moment que j’attends… Les autres, ils sont déjà partis.» Ces premières lignes, les paroles d’un enfant, donnent d’emblée le ton de ce recueil de nouvelles. Un éclat de diversité stylistique s’adaptant aux spécificités des protagonistes. Du môme égaré au vieillard esseulé, prenant à l’occasion l’apparence d’une toile de Bronzino, les personnages de Silvia Härri retiennent l’attention. Le lecteur pénètre leur psychisme, les accompagne et prend pleinement part à leurs tribulations avant de tourner prestement la page pour découvrir une autre intrigue plus déroutante encore. Lauréate du Prix Georges-Nicole, l'auteure réussit avec ce recueil le pari de mêler simplicité et émotion dans un florilège de récits. Loin de soi touche notre sensibilité et l’accapare pour ne plus s’en séparer jusqu’à la dernière page… et même davantage. Un ouvrage à garder au plus près de soi.

QUENTIN TONNERRE,
Vigousse

Haut de la page

Le recueil de nouvelles de Silvia Härri laisse se dessiner une lointaine parenté avec l’humoriste suisse, Zouc, dans sa façon de voir le monde et de dire les choses. La narratrice râle, égratigne, secoue, réveille; sa plume claque dans un style tonique et mordant. Que ce soit dans une salle d’attente ou de classe, dans un train, une maison de retraite, une cérémonie funéraire, ou encore en montagne ou au milieu des Rocheuses, l’auteure n’épargne nullement la vie de ses personnages et les décrit comme dans la vie réelle, sans fard ni filet.
Tels des funambules, les personnages glissent, tour à tour, sur le fil de leur existence, à fleur de peau, et la narratrice dénonce tous leurs malaises, les uns après les autres, dans les différents virages de l’existence, non sans causticité.
Illustration de ce propos, la nouvelle intitulée «Le Vœu». Ce titre, à connotation positive, incite le lecteur à penser que l’histoire s’inscrira dans une perspective heureuse. Que nenni. En réalité, l’héroïne émet le vœu de se séparer de son compagnon qu’elle ne supporte plus :
Le vent souffle de plus en plus fort, il va chasser les nuages, c’est sûr. Le ciel va se dégager, l’étoile apparaîtra et j’aurai le courage. Ça me ronge, de me taire comme ça. […] Mais je m’ennuie, je m’ennuie tellement. La couleur de ses pull-overs, la marque de son dentifrice, la phrase avec laquelle il entame la journée, la musique qu’il écoutera en rentrant des cours, le jus d’orange qu’il boira, jamais autre chose, parce que la vitamine C c’est bon pour la santé, les paroles qu’il me chuchotera à l’oreille pendant l’amour, le parfum de son after-shave dans la salle de bains qui y reste beaucoup trop longtemps après son passage, tout ça, je connais par cœur ! […] Toujours le même depuis trois ans, sauf qu’il y a trois ans, tout me plaisait… […] Dans sa vie et dans sa tête, tout est bien réparti et organisé. Il sait déjà quel métier il fera plus tard, à quel âge il prendra sa retraite, combien d’enfants nous aurons, où nous irons en vacances ces prochaines années et quelles fleurs il voudrait mettre dans notre jardin, des azalées, des pétunias et des géraniums évidemment. Moi ça me fait peur. Et puis je déteste les géraniums. A choisir, je préfère de loin le désordre à une prison.
Quand, dans la vie, un événement commence par être boiteux, son dénouement connaîtra une fin identique. Silvia Härri le démontre avec clarté. Loin de soi, à déguster sans modération, «autour de soi».

VALÉRIE DEBIEUX, La Cause littéraire

Haut de la page

«Ami de Gustave Roud et de Maurice Chappaz, Georges Nicole (1898-1959) a été poète lui-même. C’est en souvenir de ce critique perspicace et chaleureux que Bertil Galland et Jacques Chessex ont créé en 1969 le Prix Georges-Nicole».
Ce prix, prestigieux et unique en Suisse romande, lancé notamment par Jacques Chessex, Maurice Chappaz, Nicolas Bouvier et Bertil Galland, aura permis de révéler des écrivains tels que Anne-Lise Grobéty, Elisabeth Horem, Jean-Marc Lovay, Thierry Luterbacher, Sylvaine Marguier, Yves Rosset ou encore Catherine Safonoff. Il est destiné à distinguer, tous les trois ans, un écrivain suisse ou résidant en Suisse, n’ayant jamais été édité pour un ouvrage en prose. Cette année, après avoir étudié et parcouru plus d’une soixantaine de manuscrits, le jury composé de Éric Bulliard, François Debluë, Françoise Fornerod, Bertil Galland, Christophe Gallaz, Jean-Dominique Humbert, Sylviane Roche, Yves Rosset et Marie-Jeanne Urech, a désigné Silvia Härri comme lauréate de cette treizième édition, pour son recueil de nouvelles Loin de soi.
J’ai rencontré Silvia Härri à la remise du Prix Georges-Nicole 2013, ainsi que sur le stand des Éditions Campiche, au Salon du Livre de Genève.

Valérie Debieux:
Silvia Härri, vous venez d’être récompensée par le «Prix Georges-Nicole» et vous avez également été distinguée, pour un manuscrit inédit, par le «Prix des écrivains genevois 2012». Passionnée d’écriture poétique et enseignante dans un lycée genevois, quel sentiment éprouve-ton après avoir reçu toutes ces distinctions?
Silvia Härri: Beaucoup de joie à l’idée d’avoir été reconnue par un jury de professionnels, cela encourage à persévérer et stimule pour la suite. Un certain étonnement aussi, car être choisie parmi une soixantaine d’autres candidats pour le Prix Georges-Nicole ne coulait pas de source. C’est un grand privilège, d’autant plus que c’était la première fois que je me lançais en prose, alors je savoure d’autant plus…
 
VD: Loin de soi est un recueil de nouvelles où vous traitez de nombreux sujets tels que la mort, la quête identitaire, le fléau de la drogue, la vieillesse, l’enfance avec un œil particulièrement aiguisé. D’où vous vient ce sens inné de l’observation?
SH: Question difficile… J’ai toujours aimé observer, regarder ce que font les autres autour de moi, rester plutôt silencieuse, absorber ou retranscrire ce qui se joue autour. Lorsque je prends le bus, par exemple, il m’arrive souvent de prendre des notes sur les gens qui m’entourent, d’écrire dans un carnet des bribes de conversation ou simplement le temps qu’il fait à la fenêtre. Et puis les situations que nous offre la vie se révèlent parfois bien plus intrigantes, touchantes ou rocambolesques que celles extraites de notre imagination. Je suis convaincue que la réalité – qu’elle soit extérieure ou intérieure, d’ailleurs –, avec tout ce qu’elle comporte de complexité et d’absurdité, fournit suffisamment de matériaux à élaborer pour construire une histoire. L’imagination seule ne suffit pas, à mon sens.
 

VD: L’une de vos nouvelles, «Montana, aller simple» a pour arrière-fond le milieu universitaire genevois avec, pour protagonistes, un professeur renommé et un jeune homme à qui un poste d’enseignant universitaire est promis, moyennant un stage au Montana. Dès son arrivée sur les lieux, le héros déchante totalement car le contenu ne correspond pas à l’étiquette: «Le quarante et unième État des States ne ressemble en rien à ce qu’il m’avait promis, sa faculté encore moins. Le mirage s’est dissipé au premier flocon venu. Une ville exsangue, des étudiants médiocres que l’on peut compter sur les doigts d’une seule main, un désert humain et intellectuel sur lequel soufflent les blizzards du Grand Nord». Ce descriptif contraste singulièrement avec l’image d’Épinal créée par tous les écrivains issus, vivant ou non dans le Montana. Cette appréciation est-elle le fruit d’un vécu personnel en ces lieux, et si tel est le cas, pouvez-vous nous en dire davantage?
SH: Cette appréciation n’est pas du tout liée à un vécu personnel. Je ne suis jamais allée aux États-Unis! J’ai choisi le Montana pour les besoins du texte. Étant donné que l’un des protagonistes de cette nouvelle est un ours brun, je me suis renseignée sur les régions dans lesquelles on trouve des ours et j’ai découvert que le Montana était l’une de celles-ci… La phrase que vous retranscrivez, que le héros prononce, me sert simplement à souligner la dichotomie entre ses aspirations, ses ambitions carriéristes et une réalité qui ne se conforme pas à ses idéaux. Loin de moi l’idée d’émettre un jugement sur l’université du Montana ou ses enseignements, j’ai pris appui sur ce contraste pour infléchir la dynamique de mon personnage et lui permettre ainsi d’évoluer, de se métamorphoser au fil de la trame.
 

VD: À quel âge êtes-vous tombée dans le «chaudron magique» de l’écriture?
SH: J’ai toujours aimé écrire. Enfant, je tenais des carnets, où je notais des histoires ou certains événements de mes journées. Je ne les ai jamais fréquentés de manière régulière, mais d’une manière ou d’une autre, j’y suis toujours revenue et je n’ai jamais cessé ce va-et-vient. Mais c’est seulement à la fin de mes études universitaires que j’ai pris conscience que je pouvais «faire quelque chose» de ces fragments épars, de ces bribes, qui, au fil des dernières années, s’orientaient vers des formes denses, plutôt resserrées, d’où le choix de la poésie dans un premier temps, puis de la nouvelle.
 

VD: Vous avez un esprit de concision marqué, chaque mot allant directement à l’essentiel. Même si l’écriture de la poésie a joué un rôle prédominant dans votre vie d’auteure jusque-là, allez-vous poursuivre dans le genre de la nouvelle ou, allez-vous vous essayer à d’autres genres (roman, théâtre)?
SH: Je sais que je continuerai très certainement à écrire de la poésie, parce que l’écriture poétique est celle qui jaillit le plus spontanément pour moi. La nouvelle est également un genre dans lequel je souhaiterais persévérer, car elle requiert concision, densité et efficacité. Il faut pouvoir suggérer une atmosphère en quelques lignes, y faire pénétrer rapidement le lecteur, le surprendre et j’aime bien cela. Pour ce qui est du roman ou du théâtre, je n’en ai, pour l’heure, aucune idée. Ce n’est en tout cas pas à l’ordre du jour, il me faudrait de longs temps d’écriture dont je ne dispose pas pour le moment…
 

VD: Quelles sont vos influences littéraires et que lisiez-vous dans votre enfance?
SH: Je n’ai pas encore assez de recul pour pouvoir décréter si certains auteurs ont influencé mon écriture. D’autres sauront sûrement le dire mieux que moi. En revanche, je peux énumérer ceux ou celles qui comptent pour moi.  Pour ce qui est de la nouvelle, j’ai beaucoup aimé lire des plumes féminines telles qu’Alice Munro, une auteure canadienne, Annie Saumont et Anne-Lise Grobéty et, dans un tout autre registre, des textes de Salinger et Carver. Pour ce qui est de la poésie, des poètes comme Giuseppe Ungaretti, Giorgio Caproni, Wislawa Szymborska, Henri Michaux et Francis Ponge sont pour moi des références absolues.
Dans mon enfance, je lisais à peu près tout ce qui me tombait sous la main, difficile de se rappeler de tout, ça allait des contes de fée à Oui-Oui, en passant par le Club des cinq, Sans Famille ou le Journal d’Ann Frank. Plus tard, les textes de Sartre et de Camus, en particulier La Chute et Noces, le théâtre de Beckett, les nouvelles de Corinna Bille, les poèmes de Baudelaire et d’Éluard m’ont accompagnée pendant les années de collège, pour ne citer que quelques noms parmi d’autres. Impossible de faire une liste exhaustive, il y en aurait tellement…
 

VD: Vous avez participé à des ateliers d’écriture. Pensez-vous que la fréquentation de ces ateliers peut infléchir, voire influencer la plume d’un écrivain?
SH: Non, je ne pense pas qu’un atelier d’écriture puisse infléchir ou influencer la plume d’un écrivain. En revanche, si l’atelier d’écriture est mené par des écrivains compétents et soucieux également de l’aspect didactique, je suis convaincue que celui-ci peut créer des conditions favorables à l’écriture, permettre de s’essayer à différentes formes littéraires et fournir des outils critiques et conceptuels pour mieux appréhender ses propres textes et les retravailler dans la direction que l’on souhaite leur donner. En ce qui me concerne, les remarques et les conseils qui m’ont été donnés lors de certains ateliers d’écriture se sont révélés très utiles, notamment pour saisir pourquoi tel texte «tenait» et tel autre non. De plus, soumettre ses textes à regard extérieur plus neutre que le nôtre, parce qu’il possède précisément le recul que celui ou celle qui écrit n’a pas ou n’a plus face à sa propre création lorsqu’il y est totalement plongé, me paraît non seulement bénéfique, mais salutaire et indispensable.
 

VD: Pour revenir au Montana, vous êtes-vous plongée en plein cœur de cette littérature, et si tel est le cas, quels sont les auteurs qui vous ont plu?
SH: Comme je l’ai dit plus haut, le Montana m’est complètement étranger et ses auteurs aussi, je dois bien l’avouer ici… Je vais tenter d’y remédier rapidement!
 

VD: Marguerite Duras a écrit: "Écrire, c'était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l'enchantait". Et pour vous, que représente l’écriture?
SH: Un territoire vierge, toujours à conquérir, pétri de promesses et semé d’embûches, le lieu d’infinis possibles. Je ne crois pas que l’écriture soit la seule chose qui peuple ma vie, comme dit Duras, mais je suis sûre qu’écrire peut enchanter la vie et permettre de goûter à une forme de liberté quasi absolue qui, personnellement, me met en joie.
 

VD: Je vous laisse le mot de la fin…
SH: Je souhaite que les lecteurs des nouvelles de Loin de soi prennent autant de plaisir que j’en ai eu à les écrire et que certains textes puissent, d’une manière ou d’une autre, donner lieu à une véritable rencontre.

VALÉRIE DEBIEUX,
La Cause littéraire

Haut de la page

Loin de soi, mais si proche de nous

Période faste et entrée remarquée dans le landerneau littéraire romand pour Silvia Härri, récompensée coup sur coup par le Prix des écrivains genevois pour son recueil de poésie Mention fragile (titre provisoire à paraître aux Éditions Samizdat en automne 2013), et par le prix Georges-Nicole 2013 (attribué à un écrivain de langue française – Suisse ou résidant en Suisse, n’ayant jamais édité de fiction), pour son recueil de nouvelles Loin de soi, paru tout récemment aux Éditions Bernard Campiche. Dix-huit textes courts – mais qui composent un ensemble étonnamment cohérent – et autant de voix renvoyant en négatif à des personnages en exil d’eux-mêmes, semblables au Cygne de Baudelaire, et tendant désespérément le cou vers (ce) «ciel ironique et cruellement bleu» qu’ils n’atteindront jamais.
Dix-huit figures solitaires, ou en situation de solitude: un écolier qui attend, angoissé, dans le préau de l’école que sa maman vienne le chercher, une vieille femme dans une maison de santé qui s’adresse au portrait de son défunt amour, une élève amoureuse d’une prof qui ne remarque que ses bonnes notes (sauf, à l’évidence, la dernière épreuve...), une jeune femme qui n’ose pas formuler les mots de rupture, une autre qui s’est construite, jusqu’à en devenir prisonnière, un profil idéal sur un site de rencontres... Autant de personnages incarnant le lieu d’une dérive, activée par la fatalité ou leur propre complexion, qui les a emmenés «loin d’eux-mêmes» dans une impasse; autant de personnages métaphoriques de cette parole peut-être libératrice en quête d'un récepteur, mais qui n’ose pas, ou qui ne peut pas, et qui finit par se retourner sur son locuteur comme le rouleau d'une vague; autant de personnages symboliques de cette impossibilité ontologique à communiquer; et, finalement, autant de bouteilles jetées dans une mer qui s’apprête à les engloutir. D’où ces dix-huit monologues ponctués parfois de douces colères, voire de soubresauts de révolte d’autant plus pathétiques qu’ils proviennent du terrain même qui a modelé leur situation, inexorablement stérile à toute révolte active (à une exception près: l'étudiant de «Montana, aller simple)».
Comme Baudelaire, on pense aux matelots oubliés dans une île / Aux captifs, aux vaincus (...) À quiconque a perdu ce qui ne se retrouve jamais... Mais c’est avec infiniment de tendresse et de compassion assaisonnée d’humour que Silvia Härri peint de l’intérieur cette galerie de portraits de vaincus sur fond d’un monde qu’on devine à l’arrière plan impitoyable pour tous les égarés.
Un prix mérité et une reconnaissance qui nous réjouit pour Silvia Härri dont on attend déjà avec impatience le prochain livre.

PIERRE BÉGUIN, Blogres

Haut de la page

Un extrait:

C’était un de ces soirs où la ville faisait la tronche, un soir de brouillard et de vent. Je rentrais chez moi après le travail, je n’ai croisé personne, même pas un chat égaré ou un pigeon. La nuit était tombée vite, elle noyait tout dans sa mélasse sombre. Il faisait froid, j’ai levé la tête vers les façades grisâtres des immeubles, j’ai regardé la vie des autres s’allumer aux fenêtres et la mienne, qui ne ressemblait à rien.
Je n’avais pas prévu, pas imaginé, mais dès que je suis rentrée, je me suis connectée et je me suis mise à pianoter sur le clavier. Au commencement, mes doigts ont un peu hésité sur les touches, après les idées sont venues. J’ai rempli le profil et j’ai signé.
Buenos Aires. Je ne sais pas pourquoi, je n’y étais jamais allée. Mais j’ai trouvé que ça sonnait bien. Exotique, sensuel, envoûtant, comme tout ce que je ne suis pas. Juste ce qu’il faut pour donner envie d’explorer un pays lointain, mais pas suffisamment pour qu’on renonce… Je l’ai murmuré plusieurs fois, en essayant de prendre mon meilleur accent espagnol. Pas de doute, ce mot-là, ça faisait envie, c’était comme une musique ou une friandise qui fondait dans la bouche, un vrai délice. Rien qu’à le prononcer, l’espace grandissait et mon salon se transformait en jardin.

Vous pouvez nous commander directement cet ouvrage par courriel.

Haut de la page