SYLVIANE CHATELAIN

DÉCHIRURES

nouvelles
2018. 256 pages. Prix CHF 32.–
ISBN 978-2-88241-443-4


Biographie

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Déchirures
Nouvelles
Sylviane Chatelain

«Comment me faire comprendre, vous faire comprendre ce qui s’est passé? Est-ce qu’il faudrait plus de temps, plus de mots, ne rien négliger? Ou, au contraire, se contenter de l’essentiel? Mais si la vérité se cachait partout, si, pour chaque détail omis, on s’en éloignait un peu, on la perdait de vue, on la dénaturait?» Question angoissée que Sylviane Chatelain jette au lecteur dans le premier de ses six récits, construits autour de six femmes saisies à un moment où tout bascule, où leur raison vacille, où leur cœur implose. Leur Déchirures – c’est le titre du recueil – sont diverses, parfois liées aux événements traumatiques d’un passé enfui, parfois ancrées dans un présent douloureux.
Après une rupture – une fuite? –, une jeune femme emménage dans un appartement modeste et tente de se réinventer une vie autour de sa petite Rosalie. Sa voisine lui propose de garder l’enfant pendant qu’elle travaille. Rongée par la culpabilité, désemparée par l’attitude de sa fille qui ne parle plus qu’à sa poupée, à la limite de la dépression, la mère se laisse aspirer dans une dépendance ambiguë vis-à-vis de la voisine. Variant les points de vue et les focalisations, Sylviane Chatelain sème le doute: exténuée et jalouse de la complicité entre sa fille et la voisine, la mère de Rosalie devient-elle paranoïaque? Ou alors l’intruse, solitaire, voilée de mystère (la perte d’un enfant?) cherche-t-elle réellement à la faire passer pour folle dans le noir dessein de lui voler Rosalie? Une nouvelle, presque un petit roman, qui fait froid dans le dos…

Les déchirures, ce sont aussi ces fissures qui, imperceptiblement, apparaissent dans l’ordinaire des jours pour s’élargir insidieusement, se transformer en failles où s’engouffre l’irrationnel de nos peurs et de nos frustrations. Ainsi, cette bonne âme qui accepte, à contrecœur, d’aider son amie Annick à vider sa bibliothèque. Mais, dangereusement perchée sur une échelle, elle a beau passer les livres, les étagères restent toujours lourdement chargées! Terrassée par la fatigue, incapable de protester, elle est tout à coup en proie à des hallucinations: la relation toxique prend des dimensions fantasmagoriques. Anne se mue en une étrangère menaçante pour la narratrice: son rire «éclate dans la pièce immense en même temps qu’à l’intérieur de mon ventre, de ma poitrine et de mon cœur, pendant que, de sa main décharnée et livide accrochée à la mienne, doucement, cruellement, elle m’attire à elle, me déséquilibre, pendant que les livres que je lui apportais et tous les autres s’éparpillent en s’ouvrant et sombrent dans le battement d’ailes éperdu de leurs pages».

Le Tableau nous emmène dans un musée, où une visiteuse est profondément absorbée dans la contemplation d’une œuvre. Elle est observée par une autre femme, elle aussi happée par l’énigme de la toile – une pièce plongée dans la pénombre, une figure alanguie et songeuse dans un fauteuil rouge, un tapis et des rideaux assortis, entrebâillés; au fond l’embrasure d’une porte qui ouvre sur… quoi donc? Explorant les jeux de miroirs et la thématique du double, l’auteure déploie la palette chatoyante de son style – de somptueuses nuances de noir et d’écarlate – pour évoquer l’hypnose provoquée par le tableau…

Récit émouvant et poétique, Le Chien décrit l’agonie d’un homme malade veillé par sa femme. Surgit le rêve bizarre et récurrent d’un chien qui l’accompagne, le guide vers un feu, un village – rêve réconfortant dissous par l’aube, partagé par sa compagne qui peu à peu s’y love. Réminiscence du bonheur enfui, passerelle vers l’inéluctable alors que tout se resserre autour d’eux, que la nature familière se charge de teintes effrayantes? L’animal semble vouloir les mener «Là où tout est impalpable et bienveillant, où se dissipent les terreurs et les maléfices, là où les sombres forêts se traversent comme des illusions, où les gifles des branches ne sont plus que des caresses sur la peau et leurs feuilles amères, mousse fraîche sur les lèvres».

Un autre couple, en perdition celui-là, chemine dans La Brume. Une histoire d’amour qui se «dés-écrit»? Sur un sentier de montagne escarpé, elle s’arrête pour reprendre souffle, il la distance, puis ralentit le pas; elle perd sa trace, il réapparaît; mais l’écart se creuse inexorablement… «et elle reste seule, séparée de lui, ils ne sont plus que deux signes désunis et incompréhensibles, égarés sur la page blanche de la neige».

Tout aussi perdue, la jeune femme enceinte de la dernière nouvelle. Prise dans la tempête, hagarde, elle trouve refuge dans une maison accueillante. Dans les limbes de sa mémoire semble se rejouer un drame: visions de flocons qui s’écrasent sur un pare-brise, de Rémi qui «dort dans son berceau de neige veillé par l’hiver», alors que se fait brûlant le désir de la rivière à traverser pour rejoindre ceux qui l’attendent: «Je m’avancerai jusqu’au bout du pont brisé, je chercherai leurs visages. Dans l’obscurité de l’eau, sous l’encre renversée, je les reconnaîtrai».

Dans chacune de ces histoires, Sylviane Chatelain joue en virtuose avec l’inquiétante étrangeté chère à Poe, à Gautier, à Maupassant. Subtils décrochements du réel, parenthèses oniriques, irruptions furtives d’un ailleurs glaçant. Le lecteur est pris dans les rets de cet univers riche de suggestions: glanant un indice, échafaudant une hypothèse, attendant une résolution savamment différée, tenu en haleine par une écriture originale, proche du flux de conscience à la Virginia Woolf, jusqu’à… l’épilogue? Il manque toujours une pièce au puzzle… comme à ce puzzle ardu que la petite Rosalie et sa mère, hébergées (prisonnières?) dans la maison de vacances de la voisine, reconstituent patiemment. Mise en abyme? Un paysage tourmenté se dessine, un pont vertigineux, des flots ténébreux – et lorsque la pièce manquante est retrouvée: «l’eau de la rivière était encore plus menaçante maintenant que le trou était comblé. Sombre et luisante, elle retenait, attirait le regard comme un gouffre avide, une promesse trompeuse de repos et d’oubli».

L’écrivaine nous fait ressentir presque physiquement le malaise qui étreint ses personnages et ne nous laisse aucun répit! Du grand art, qui nous dérobe nos repères, nous emporte jusqu’aux confins du fantastique, pour nous abandonner sur la berge d’un sens fuyant comme l’eau vive, aussi déconcertés que ravis…


Sylviane Chatelain est née et vit à Saint-Imier. Elle a étudié à l’École des arts décoratifs de Genève et à la Faculté des lettres de l’Université de Neuchâtel, tout en élevant quatre enfants. En 1984, elle reçoit le premier prix du concours littéraire organisé par l’atelier d’écriture du Soleil à Saignelégier, ce qui lui donne le courage de sortir de leur tiroir les récits qui y sommeillent. Depuis, romans et recueils de nouvelles se succèdent. L’auteure a reçu maintes récompenses (Prix Hermann-Ganz, Prix de la commission de littérature du canton de Berne à deux reprises, Prix Schiller, Prix des arts, des lettres et des sciences du Conseil du Jura bernois…). Sylviane Chatelain est aussi – ou a été – membre de plusieurs associations ou commissions visant à promouvoir la littérature jurassienne.

CHRISTIANE LIÈVRE SCHMID,  Actes de la Société jurassienne d'émulation. Année 2020, 123e année

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Dans son recueil de nouvelles, l’écrivaine née à Saint-Imier s’est attachée à débusquer une déchirure dans le destin de six femmes. Des univers étranges, des moments découpés dans la vie de ces héroïnes malgré elles. Une femme dans la brume sur les pas de son mari qui s’esquive, une autre au chevet de son conjoint malade, isolé dans une maison enserrée par de grands arbres ou cette amie venue à la rescousse d’Annie empêtrée dans son déménagement.
«La Voisine» est la nouvelle phase, la plus bouleversante, celle qui laisse des scories dans l’âme. C’est comme un cauchemar qui hante parfois nos nuits et dont on se réveille complètement secoué. Avec lenteur, l’auteure conduit le lecteur sur des chemins escarpés où il manque à chaque instant de chuter. Et pourtant tout avait bien commencé. Cette voisine qui se propose de garder la petite Rosalie lorsque la mère retrouve un emploi après son déménagement, c’est une aubaine.
Certes, cette voisine ne suscite pas la sympathie. «On dirait qu’elle est entourée en permanence d’un cercle glacé, d’un vide hérissé de silence dans lequel personne ne veut pénétrer, que tous évitent en faisant un détour. Même quand elle s’efforce de leur ressembler, de leur plaire.» Ou plus loin: «Elle est sur le seuil, plus pâle et plus sombre que jamais. Une image tranchée, abrupte, pas de nuances, pas de détails, rien que du noir et du blanc.» «Enfermés entre ses mains, il n’y a que les accoudoirs usés de son fauteuil.»
Il y a en Sylviane Chatelain une telle force de conviction que le lecteur, hébété, parcourt ce huis clos sordide. Elle a le talent rare de ménager suspense et l’épilogue est en deçà de l’appréhension de celui qui lit. Elle a sondé la psychologie de ses personnes à l’instar d’un professionnel, en quelques traits incisifs dans une langue puissante avec des éclats de poésie d’autant plus précieux que le propos est âpre. Une poésie frémissante: «sous les flots patients de la brume» ou encore «les droigts souples de la lumière» ou bien «l’eau trouble de sa mémoire».
Déchirures est son dixième ouvrage. De nombreux prix ont récompensé ses œuvres dont le Prix Schiller, le Prix Bibliothèque pour Tous, le prix des Arts, des Lettres et des Sciences du Conseil du Jura bernois.

ÉLIANE JUNOD, 
L'Omnibus,   26 avril 2019

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Sylviane Chatelain invitée, le jeudi 10 janvier 2019, de l'émission radiophonique «Entre nous soit dit». Interview par Mélanie Croubalian.

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Femmes égarées

Les six nouvelles de Sylviane Chatelain réunies sous le titre de Déchirures dépeignent  avec une précision clinique des épisodes de vie de quelques femmes emprisonnées dans le piège de petits riens qui débordent, et finissent pas les étouffer. Engluées dans dans des situations carcérales qu’elles ont elles-même contribué à créer, elles n’en comprennent pas le cheminement. Manipulées par de plus habiles qu’elles, apeurées par d’irrationnelles situations, elles pataugent, restant prisonnières de leur propre toile, car les personnages de Chatelain tournent en rond dans des situations inextricables: ces femmes se débattent contre le vent, assommées par une chape de ténèbres qui descendrait doucement d’un infini surnaturel pour mieux les enfoncer dans la terre de leurs angoisses. Chez l’écrivaine, il y a peu d’espoir de se soustraire à l’asservissement…  Et tout cela d’une écriture somptueuse.

VINCENT BéLET, 
Payot La Chaux-de-Fonds, 2018

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Femmes au bord de la crise

Un matin, elle prend sa fille, Rosalie, et s’en va. Quitte sa  maison. Elle s’enfuit, visiblement. Elle emménage ailleurs, dans un appartement aux murs «sales, qui ont gardé les traces de tous ceux qui ont vécu ici». Et il y a la voisine. Arrangeante et froide à la fois. Et qui semble fascinée par Rosalie. N’essayerait-elle pas de la lui voler?...
De la principale protagoniste de «La voisine», la première et la plus longue des six nouvelles composant Déchirures, on ne connaît pas le nom. Pas plus que celui des femmes apparaissant dans les cinq autres récits du livre. Des  femmes qui perdent pied, errent dans la brume,  dans un tableau ou dans la neige. Enfermées, retenues prisonnières, sans que l’on sache vraiment si leur prison est extérieure ou intérieure.
Dans ces textes à la limite du fantastique, l’écrivaine de Saint-Imier Sylviane Chatelain joue avec un talent rare sur ce moment de doute, d’inquiétante étrangeté où tout peut basculer.
Bouleversant et glaçant.

NHE, 
Arcinfo,  13 décembre 2018

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Écrivain trop rare – mais cela fait son prix – maîtrisant avec finesse une veine subtilement sombre, Sylviane Chatelain entrecroise six récits dont les fils, ici et là noués entre eux, se délitent bientôt. Comme les rêves d’avenir, les espoirs, les projets de ses personnages, des femmes dont la vie, telle une étoffe, s’use imperceptiblement jusqu’à céder, dans un craquement sinistre  qu’elles seront seules à entendre. Poignantes, ces figures familières – des épouses, des mères, des voisines – s’effondrent de l’intérieur, minées par quoi? Superbe, précise, solide mais translucide, l’écriture, elle, résiste.

JOËLLE BRACK, 
Site de Payot Libraire, décembre 2018

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En une:

Des femmes à la dérive, racontées

Titulaire du Prix Schiller, Sylviane Chatelain vient de publier un dixième ouvrage. Il s’agit de six nouvelles qui racontent l’histoire de six femmes qui, tout à coup, perdent pied



Écrire pour exister

Sylviane Chatelain sort un dixième ouvrage. Il s’agit de six nouvelles qui racontent l’histoire de six femmes emportées par des courants contraires

«J’ai retardé la sortie de ce livre, car j’avais peur. Je ne me sentais pas encore prête à me mettre à nu», explique Sylviane Chatelain qui vient de publier Déchirures, un recueil de nouvelles. Il s’agit de son dixième ouvrage. Cette fois, l’auteure qui a obtenu maintes récompenses, dont le prix Schiller, y raconte l’histoire de six femmes qui tout à coup perdent pied. «Il y a par exemple Rosalie, une mère qui est menacée par sa voisine mythomane désireuse de lui voler son enfant ou le récit d’une épouse qui est recluse dans sa maison au chevet de son mari mourant», détaille l’Imérienne.
Par ces six nouvelles, Sylviane Chatelain déclare examiner la même chose mais de manière différente. «J’investis ce moment de déséquilibre que nous vivons tous un jour ou l’autre. En fait, je raconte la même chose, mais avec des histoires différentes et en utilisant d’autres styles d’écriture. Je me rapproche toujours davantage de la vérité que je cherche sans pouvoir exactement l’atteindre.» Son titre Déchirures fait référence à la fragilité de la vie. «Nous vivons jour après jour en pensant que demain nous nous réveillerons... Mais en réalité, nous vivons sur une passerelle en papier», explique l’écrivaine. Ce livre ne serait-il pas une métaphore à la mort? «C’est sans doute pour moi une façon d’apprivoiser
d’apprivoiser la fin de vie.»
Cette thématique froide et dure tranche avec son style si raffiné. «Pour moi la nouvelle est par essence poétique.» Et Sylviane Chatelain d’ajouter: «Pour un de mes récits, je suis partie d’une observation de la nature depuis ma fenêtre pour ensuite y mêler l’histoire d’une femme et d’un chien…»

Des fins ouvertes

Loin d’être tranchée, la fin de ses histoires est suggestive. «Je ne dis pas tout. Je préfère laisser une place aux lecteurs et à leur interprétation», explique la femme de lettres. Elle cite Guy de Maupassant qu’elle considère comme une référence en la matière. «Il y a toujours des fins ouvertes et des retournements de situations.»
Sylviane Chatelain apprécie jouer avec les mots et varier les styles d’écriture. «C’est peut-être pour ça que je ne me lasse jamais d’écrire.» Et l’Imérienne de conclure: «Le monde est informe sans les mots pour le dire.»


Si on faisait connaissance...

«Livre préféré »: À la recherche du temps perdu,  de Marcel Proust.
«Modèles»: L’écrivaine Virginia Woolf et le peintre suisse Georges Borgeaud. «Il y a encore tellement d’artistes que j’admire», ajoute Sylviane Chatelain.
«Attachement à la région»: «Le côté aride, sévère, froid et calme du Jura me plaît énormément», précise-t-elle.
«Plat favori»: La salade. «Tout ce qui est froid et fort», raconte l’Imérienne.
«La politique, c’est…»: «Une préoccupation constante», indique l’écrivaine qui rappelle s’être déjà emparée de sujet dans ses livres.
«Vos aspirations»: Trouver la paix. «Je suis une personne très tourmentée.»
«La famille, c’est…»: «Vital». Elle explique vivre une deuxième jeunesse avec son mari: «Nous gardons régulièrement nos petits-enfants et c’est un peu comme si nous recommencions. Mais aujourd’hui, nous sommes plus rapidement fatigués», glisse-t-elle avec un sourire

AUDE ZUBER, 
Le Journal du Jura , 17 décembre 2018

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Sylviane Chatelain
Dompter les mots

L’escalier de la maison familiale ressemble à une bibliothèque où se côtoient la célèbre biographie de Primo Levi «La tragédie d’un optimiste» et quelques livres de la «Bibliothèque rose» destinés à ses petits-enfants. «Depuis que je suis petite, j’aime lire et écrire. À l’école, j’adorais les compositions. Et ensuite, j’ai aussi aimé les dissertations.» Assise dans un fauteuil du salon qui offre une vue imprenable sur Saint-Imier, Sylviane Chatelain se confie sous le regard un tantinet inquisiteur de «Monsieur Ni», son chat de 13 ans, un des rares à avoir le droit de la déranger dans son antre située dans les combles: le bureau où elle écrit. «Hors de question d’écouter de la musique ou de la radio quand j’écris», prévient-elle. «J’essaie de me discipliner et d’écrire tous les matins.»

Proust et Gracq

Ses textes, elle les rédige d’abord sur du papier, les relit, les corrige, les relit à nouveau et les corrige encore avant de les immortaliser sur son ordinateur. «La genèse de mes écrits? Ce sont souvent des rencontres. Ou alors des petits textes que je lis dans les journaux. Ensuite, il faut laisser l’imaginaire travailler.»
Sylviane Chatelain ne cache pas son admiration pour le très stylé Marcel Proust ou aussi le plus éclectique Julien Gracq. Elle a aussi a la réputation, dans les milieux littéraires, d’être une perfectionniste et une orfèvre dans sa manière d’écrire et de choisir les mots. «J’accepte volontiers cette étiquette. Je travaille beaucoup mon écriture et tente de réussir à dompter les mots», poursuit-elle de sa voix douce, presque timide, mâtinée d’un accent jurassien bernois délicieusement délicat. Destin de femmes. Cette Imérienne de 68 ans est retournée vivre dans sa cité de naissance pour y suivre son mari, enseignant. «Mais j’avais vraiment commencé à écrire quand je vivais à Genève», où elle étudiait les arts décoratifs, En 1984, elle avait obtenu le premier prix du concours littéraire organisé par l’atelier d’écriture du Soleil à Saignelégier. Un déclic. «C’est à ce moment que certains m’ont conseillée d’essayer de me faire éditer.» Ce fut d’abord aux éditions de l’Aire. Puis, depuis 1988, chez Bernard Campiche qui lui a ouvert une fenêtre sur la Romandie et la Francophonie.
Son dernier ouvrage, Déchirures, est un recueil de six nouvelles relatant le destin de femmes «sous les pas desquelles, soudain, le sol se dérobe, qui, à la dérive, emportées par des courants contraires, s’efforcent de regagner une rive familière, la sécurité de naguère». Par exemple, la mère de la petite Rosalie, menacée par l’intrusion dans son existence d’une étrange voisine: celle-ci est-elle compatissante ou désireuse de lui voler son enfant?


Lecture publique

Sylviane Chatelain n’aime pas trop s’exprimer en public. «Quand ils sont écrits, je réussis à maîtriser les mots.» Cela n’empêchera pas cette mère de quatre enfants adultes d’être l’invitée le 10 janvier prochain de l’excellente émission «Entre nous soit dit» sur RTS «La Première».
«J’y serai sans doute aussi interrogée sur mes goûts musicaux qui me portent d’abord vers la musique classique de la Renaissance et surtout sur Bach.» Ce jeudi, elle fera une lecture publique de certaines de ses nouvelles dans la nouvelle librairie indépendante de Bienne, «Bostryche», que dirige Catherine Kohler: «Sylviane Chatelain est un grand écrivain. Elle écrit avec une plume à la fois sobre et sensible tout en créant des atmosphères inquiétantes. Et aborde le féminin avec tellement de justesse. Dès que j’ai lu les premières lignes de son dernier livre, j’ai eu envie de la rencontrer.»

MOHAMED HAMDAOUI, 
Biel Bienne, 21-22 décembre 2018

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Quand la littérature fait des caprices

Depuis que les auteurs romands ont compris que la fiction était le rendez-vous de tous les possibles, ils s’éclatent et jouent avec les mots en pleine allégresse.ll y a les grands classiques, telle Sylviane Chatelain, reconnus en Suisse romande comme des maîtres de la littérature, un statut solidement établi au fil de leurs œuvres. (…)

L’univers gris de Sylviane Chatelain

S’il en est une qui décline le terme gris dans ses plus infimes nuances, c’est bien l’Imérienne Sylviane Chatelain. Toujours en demi-teintes dans les sombres, les grisailles, les brumes et autres amertumes, les univers de l’écrivaine laissent peu de place à l’espoir. Pour le lecteur, c’est parfois un réel challenge que de parcourir ces pages de doux désespoir. Son dernier ouvrage, Déchirures, ne fait pas exception. Présenté comme un recueil de six nouvelles, nous évoquerions plutôt un roman suivi de cinq plus courts récits, consacrés à des femmes qui sont lentement submergées par des événements qu’elles ne contrôlent plus. Folie? Cauchemar? Où est la vérité, si tant est qu’il en existe une? Ou peut-être un jeu littéraire de la part d’une écrivaine qui ressent le mal-être de beaucoup de femmes, le transposant en funèbre poésie.
Intitulé «La Voisine» , le «roman» met en scène Rosalie, sa maman et une voisine. Après un déménagement, l’enfant porte toute son attention à une poupée, rejetant sa mère dans un lourd silence que l’adulte ne comprend pas. Une voisine les observe, proposant son aide pour garder la petite quand la mère travaille. Peu à peu, l’intruse construit autour de la mère un piège tissé dans une bonté suspecte, cherchant à «voler» Rosalie, tout en neutralisant la maman qui finit par abdiquer un combat dérisoire, détachée de la réalité. Dans «La Bibliothèque» , une amie perd pied alors qu’elle aide sa copine Annie à préparer son déménagement. Annie est-elle une sorcière? Un personnage de rêve? Au lecteur de décider. Une autre héroïne est comme aspirée par «Le Tableau» , ou est-ce un piège, le travail occulte d’une autre femme qui l’observe?
Dans «La Brume» , «Le Chien et La Rivière» , Sylviane Chatelain s’éloigne plus encore du monde réel, tangible. Les femmes qu’elle décrit sont grignotées par des brumes ennemies, des branches d’arbre, un chien comme ultime compagnon. Et enfin, une sorte de retour au premier chapitre du roman, laissé en suspens: une femme attirée par une eau mortifère. Malgré le nom des enfants qui diffèrent, Rosalie pour le «roman», Rémi dans l’ultime nouvelle, une parenté rapproche ces êtres dans leur paisible délire face aux autres et à la nature toute-puissante.
Plus elle écrit, plus l’auteure de Saint-Imier flirte avec la littérature fantastique, tout en restant dans un registre classique, un style romantique, riche d’images. Ses descriptions de paysages évoquent les peintures de Caspar David Friedrich. Comme chez lui, les personnages se démènent dans des atmosphères échevelées qu’ils ont l’air d’affronter malgré eux. Un recueil de saison, empreint de mélancolie.
(…)

BERNADETTE RICHARD, 
Le Quotidien jurassien

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Six nouvelles, six femmes sous les pas desquelles, soudain, le sol se dérobe, qui, à la dérive, emportées par des courants contraires, s’efforcent de regagner une rive familière, la sécurité de naguère. La mère de la petite Rosalie, menacée par l’intrusion dans son existence d’une étrange voisine, compatissante ou désireuse de lui voler son enfant ? Promeneuses égarées dans la brume, une tempête de neige ou les profondeurs ambiguës d’un tableau. Amie dévouée, victime de sa bonne volonté. Épouse recluse dans sa maison au chevet de son mari malade. De pas en pas, de jour en jour, l’étoffe de leur vie, de leurs rêves se déchire.

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