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Catalogue 1986-2012

Bernard Campiche Éditeur
2012. 100 pages. Prix: gratuit
ISBN 978-2-88241-311-6


Biographie

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Un portrait
Bernard Campiche,
56 ans, 26 ans d’édition

Il a eu cinquante-six ans cette année, mais il passera encore longtemps pour le plus «jeune et le plus atypique des éditeurs de Suisse romande». La juvénilité perpétuelle de son visage et de ses enthousiasmes y est pour quelque chose, mais je crois que Bernard Campiche a surtout de la fraîcheur intérieure à donner, la puisant au plus près de la nappe phréatique de ses terroirs – les pays de Vaud et de Lausanne, le Valais chablaisan, l’ombre bleue du Jura, l’humus de la grande littérature.
Une petite source miraculeuse qui est toute à lui. Il en fait don par métier, et elle l’aide lui-même à traverser les pires épreuves avec une force d’âme qui dépasse son propre entendement.

Quant à son atypisme légendaire, il est tout autant justifié: ce grand échalas peint par le Greco et à mélancolie stendhalienne sert la littérature de Suisse romande avec une humilité qui cache un plaisir visible et renouvelé. Aucune onction sacerdotale, comme chez tant de maîtres d’école de pensée, mais de la candeur vraie et enjouée, active, diablement efficace.
Ses livres sont beaux, mais pas comme des pâtisseries, des pièces montées – ils ont une odeur de bon pain et leur beauté donne envie de lire. Persuadé que les causes les plus modestes peuvent accéder à l’universalité, il a d’emblée séduit par la bienfacture de ses ouvrages les critiques littéraires les plus exigeants de la francophonie. Sans parler des lecteurs!
Petite anecdote: j’en ai rencontré un au Salon du Livre de Montréal qui était particulièrement enthousiaste, voire un brin enfiévré. Il était de Jonquière, une des capitales mondiales de la pâte à papier, située près de Chicoutimi. Ce Monsieur Camille m’assura que sa femme et lui aimaient caresser les livres de Campiche. Qu’ils en admiraient l’image de couverture, le grain des pages et leur miroir – soit l’encadrement blanc du texte –, et le soin infini porté à la composition typographique. Ainsi qu’à l’orthographe.
— L’orthographe, dites-vous, donc non seulement vous appréciez la forme de ses livres, mais vous les lisez?
— Partant, oui. Nous sommes si dignement invités à le faire!
Ainsi, Bernard Campiche a su ériger le métier d’éditeur en forme d’art, et le souverain de son canton l’a bien compris en lui décernant, en l’an 2000, son Grand Prix de la Fondation artistique, généralement dévolu aux peintres, aux musiciens, ou à ses frères écrivains.
Oui, ses frères écrivains. Des sœurs, des frères. À présent qu’on célèbre le vingt-sixième anniversaire de son entreprise éditoriale – donc de sa création artistique personnelle –, je tiens à cette métaphore de la fraternité. Car elle est significative de la flamme affective qu’il entretient auprès de ses romancières et romanciers, de ses nouvellistes, poétesses, poètes ou dramaturges. Là où un éditeur se définit comme un patriarche, un chef de file, ou le père spirituel de ses auteurs, Campiche se révèle un compagnon de joies et de souffrances – un frère d’armes. Un lecteur attentif surtout. Un ange gardien fait de chair et de sang. Mais lorsque l’égocentrisme des écrivains qu’il publie se met à se boursoufler, à les congestionner d’une infatuation inadmissible, il les tempérera courtoisement, en leur rappelant que le livre qu’ils préparent ensemble est aussi le sien.
Cette posture d’éditeur, qui est délibérée, lui autorise quelquefois des prérogatives qui peuvent échapper à l’entendement de certains auteurs. Or Bernard Campiche peut souffrir d’être incompris.

*
*  *


Avant de le connaître, j’avais publié déjà quelques ouvrages, mais c’est auprès de lui plus qu’ailleurs que je me suis senti écrivain, car son regard sait s’associer au mien musicalement aux instants les plus cruciaux. Je veux dire aux croisées les plus décisives des chemins: par exemple à l’ultime relecture d’un manuscrit, lorsque le changement d’un seul mot, voire l’intrusion d’un point-­virgule, pourrait bouleverser la trame ou même le cours fluvial d’un récit. À ces instants, quand l’œil de­vient ouïe, où une question de rythme ou de tempo fait vibrer la corde centrale de l’œuvre, l’auteur est seul à trancher, et cette solitude devant l’urgence le terrifie. C’est alors que la présence de Bernard ­Campiche le rassérène, car lui aussi voit et entend – exactement de la même manière. Cet éditeur sait aller avec ses auteurs jusque dans la chair vive d’un texte, et y rougir ses belles mains de moine comme le ferait le plus avisé, le plus connivent, des assistants d’un chirurgien.
Durant l’hiver le plus cruel de sa vie, j’étais en train d’achever un récit sous sa vigilance amie. Manquant soudain d’inspiration, j’en eus honte: que sont les tourments traditionnels d’un écrivain en comparaison avec ce que peut éprouver un homme, lui, mon éditeur, dont la fille de six ans est à l’agonie? Je n’avais jamais cru au bien-fondé du désespoir des poètes devant la feuille blanche, mais cette fois je me trouvais en cette situation. Je la voyais plus inconvenante, plus absurde que jamais.
Je lui dis: «Bernard, on laisse tomber, préoccupe-toi de ta fille Louise.»
— Mais c’est bien d’elle que je me préoccupe en t’encourageant à finir ton livre, puisque c’est à elle que tu l’as dédié. Elle le sait, et j’ai promis de le lui montrer.

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*  *


Il est des parents que la disparition d’un fils, d’une fille, anéantit, rend amers pour la vie, et d’autres, tel Bernard Campiche, que le deuil ne ronge pas, mais sculpte intérieurement, embellit encore. Et de ce creuset intime de l’infinie tristesse, la source d’exaltation qu’ils avaient crue tarie pour toujours rejaillit; leur enfant perdu revit en eux, les propulse vers le vif, les rajeunit presque malgré eux, leur fait rejoindre leur propre enfance. Et cette force reconquise est conquérante, bénéfiquement contagieuse; pas revancharde, bâtisseuse. Et, contre elle, la loi des méchants, la logique des ingrats, ou les argumentations des imbéciles ne peuvent rien. Le génie de l’enfance, lui, peut tout.

À celui qu’il hante, il réinsuffle le goût de l’audace, de l’aventure, mais sans le détourner du souci de récapitulation grave, pointilleuse, sincère. Réécoutons la voix de Bernard Campiche quand il se met lui-même à l’épreuve difficile de l’autobiographie :

«J’effectue seul tout le travail éditorial, depuis le début de mes éditions. D’où un nombre limité de parutions annuelles (environ huit titres, plus, dès 2002, huit à dix livres de poche). Depuis 1997, j’ai la chance de voir diffuser mon travail éditorial en France.
»J’ai voulu créer une maison indépendante, et je m’efforce depuis le début de trouver un ton et un style personnels, que ce soit sur le plan du choix des textes, des relations avec les auteurs, des rapports avec le public, ou celui de la présentation générale de mon travail. Je désire exercer mon métier de manière artisanale, en assumant seul la plupart des tâches : décision de publication, saisie des textes et mise en pages de ceux-ci, discussion de la présentation des ouvrages, diffusion en librairie, la presse et le public. Je n’édite donc qu’un nombre restreint d’ouvrages, avec comme objectif principal la diffusion la plus large possible du travail des auteurs suisses français. Car la Suisse est le pays dans lequel je vis, et je pense que c’est la littérature dont je comprends le mieux les racines et que j’ai envie, au travers d’œuvres les plus variées, de défendre.»

Jean-Pierre Monnier (1921-1997), qui a été le premier auteur édité par Campiche, le salua comme un homme à pentes:

L’enthousiasme ne m’a jamais fait sourire, ni la volonté d’entreprendre, et quand les réalisations font suite aux projets, quand on les a sous les yeux comme si elles renouaient avec une tradition, celle du beau livre ouvert à toutes les lectures, on est heureux et presque fier pour qui a mené à bien l’idée dont elles sont le produit et à laquelle il a souvent dû sacrifier quelques conforts. Bernard Campiche ne s’est pas égaré dans les voies de la facilité (c’est à peine si j’ai quelque gêne à le dire), et surtout il n’a pas craint d’aller au-devant de la jeune littérature qui s’écrit aujourd’hui en Suisse romande. C’est un être, lui aussi, de passion, un homme à pentes, de ceux auprès desquels je me sens bien. Il travaille. Il fait de bons livres. La place qui est devenue la sienne, en peu d’années, était à prendre, et elle répond de la meilleure présence dans la continuité.

Jean-Pierre Monnier
In : Pour Mémoire

Portrait de Bernard Campiche, l’artiste, en homme des pentes. Il n’est point le roi Sisyphe poussant éternellement un rocher voué à retomber avant d’atteindre le sommet d’une montagne infernale. C’est l’arpenteur qui sait mesurer les terrains en amont puis en aval – et encore une fois en amont, etc. Il jauge la déclivité des deux versants à pas déterminés, et chez lui la route est longue, la route est belle.

Gilbert Salem

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