LIÈGME, Bernard



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Neuchâtelois. Originaire de Cormoret. Né au Locle (Neuchâtel) en 1927, il fit des études dans sa ville natale et à La Chaux-de-Fonds, puis lycée en France, et retour en Suisse pour des études de lettres à Lausanne. Dès 1955, il se consacra à l’enseignement, occupant notamment un poste de professeur de français et d’histoire de l’art au Gymnase Numa-Droz de Neuchâtel. Il se tourna très jeune vers le théâtre, d’abord en qualité de comédien, puis comme metteur en scène et enfin comme auteur. Il participa à l’aventure des Faux-Nez avec Charles Apothéloz et, en 1959, fut l’un des fondateurs du Théâtre populaire romand, pour lequel il rédigea plusieurs pièces dont Le Soleil et la Mort (1965). Homme de théâtre talentueux, il explique ainsi sa démarche: «Je veux faire du théâtre un moyen d’échange entre les hommes, révéler aux spectateurs les joies et les peines d’autres hommes, toutes semblables aux leurs.» Il a pu approfondir cette réflexion dans un livre d’entretiens avec Claude Vallon, Le Feu du Théâtre. Il a aussi traduit Goldoni et Gyarfas en français. Il a vécu à Boudry (Neuchâtel). Bernard Liègme est décédé en avril 2013.
Il a reçu le Prix de la SACD 1970, le Prix de littérature francophone du canton de Berne 2000 et le Prix de littérature du canton de Neuchâtel 2000.


Le Soleil et la Mort

Calmement l’auteur dramatique recule lentement dans le noir et se fond dans l’indistinct pour disparaître complètement, laissant en pleine lumière au milieu de la scène une chaise vide, sur le dossier de laquelle est posé un tissu coloré, une chaise où devrait venir s’asseoir son dernier personnage, Amalia.
Cette scène est l’ultime du film Bernard Liègme, l’auteur et ses personnages de Jean-Blaise Junod réalisé en 2000. J’ai rencontré ensuite Bernard à deux reprises: la première lors d’un hommage émouvant en 2009 au cinéma ABC à La Chaux-de-Fonds, où le metteur en scène Charles Joris, évoquait la fantastique aventure du Théâtre Populaire Romand initiée par les deux hommes; la seconde au Théâtre du Passage à Neuchâtel en 2010, à l’occasion de la sortie et de la présentation des magnifiques volumes de la collection Théâtre en camPoche Théâtre I et II de Bernard Liègme, où la jeune auteure Odile Cornuz questionnait avec une belle pertinence les quarante années d’écriture de l’auteur.
À chaque fois j’ai demandé à Bernard comment se portait Amalia, quand allions-nous la voir, pouvoir entendre ses histoires? Avec sa douceur et son sourire coutumiers, il haussait modestement les épaules et restait évasif: bien sûr, elle le visitait souvent, elle lui parlait, il l’écoutait, déjà le papier avait recueilli beaucoup de ces échanges, mais ce n’était pas encore le moment, il fallait attendre, encore.
Attendre. Le maître mot, pour Bernard: «Je dois attendre que des personnages eux-mêmes se mettent à parler en moi et surtout apprendre à les écouter. Les personnages parlent et moi je note. Je ne suis qu’un greffier.»
Bernard s’est fondu dans le noir, la chaise est vide. Amalia ne viendra pas, elle aura fait un fort passage dans Diva ou les Photographies mais n’aura pas tout dit, les personnages peuvent être tellement imprévisibles!
Mais tous ces autres, mis sous le soleil des projecteurs par la patiente écoute de l’auteur, qu’attendons-nous pour les écouter, vivre avec eux: Tatzelwurm, Arthur, Ariana, Photis, Évangélia, Stavros, Pierre-Paul, Lisa, Paulo, Pingus, Benjamin, Agostina, Schwefelgrüber, Boyon, Julie, Ruth, Sarah, Marcel, Edward, Vassili et des dizaines d’autres?
Bernard Liègme, dès le milieu du siècle passé est l’un des rares créateurs (au même titre que Louis Gaulis, Michel Viala, Jacques Probst) fondateurs de l’écriture théâtrale en Suisse romande. Ses préoccupations constantes à l’endroit d’un théâtre destiné à tous, son écriture directe et vive, son sens de l’intime et du politique et son implication dans la vie culturelle en font un témoin irremplaçable de son époque.
Alors, ce patrimoine vivant, chaleureux, chatoyant, généreux, qui, quel metteur en scène aujourd’hui se sent à même, ici sur ses terres d’émergence, de lui faire battre à nouveau et encore les planches? Je pose la question – et je crois, Bernard, que tu ne dois pas y être opposé: la mort est-elle obligatoirement oubli? N’est-ce pas la force d’une culture que de se nourrir de ses prédécesseurs et de leur talent? Je ne pose que des questions, car comme le disait facétieusement Bernard: «La question ouvre et la réponse ferme!»

CLAUDE CHAMPION, Papier, Société Suisse des Auteurs

Théâtre I
Théâtre II